CinémaInterview

Noémie Schmidt « J’ai toujours été indignée par l’injustice »

La comédienne valaisanne tient le rôle d’une geek excentrique dans la série Anthracite sur Netflix et s’apprête à présenter sa première pièce de théâtre, chez elle, à Sion : La Nuit n’en finira donc pas… ? Rencontre avec une femme engagée, qui revendique son caractère militant et croit aux pouvoirs de la joie pour changer le monde.

Texte Jean-Daniel Sallin  Photos Gabriel Monnet

La comédienne Noémie Schmidt, jeudi 22 août 2024 à Sion. (© Gabriel Monnet)

Le rendez-vous avait été fixé au Café du Nord, dans la Vieille-Ville de Sion. Un lieu stratégique. Le Spot, le théâtre dans lequel sera présentée sa pièce, La Nuit n’en finira donc pas… ?, n’est qu’à 200 m de là et l’appartement qu’on lui a prêté pendant son séjour est juste à côté. C’est aussi là que la troupe viendra se sustenter avant les représentations. Santiags aux pieds, Noémie Schmidt arrive, pile à l’heure, sort quelques bananes de son sac et se roule une clope. « Joris est sur le chemin », avertit-elle. Joris Avodo, c’est son alter ego, un metteur en scène parisien, tombé en amour avec le Valais après sa première expérience de carnaval. Il vit dans la même ferme qu’elle, en Dordogne, et était déjà de l’aventure Années 20, un film tourné en un seul plan-séquence dans les rues de Paris juste après le premier confinement. Ensemble, ils ont décidé de créer cet ovni théâtral, multidisciplinaire, qui propose un voyage dans le temps, au cœur de l’histoire du Valais des années 70 à aujourd’hui. Une pièce qui permet à la comédienne sédunoise, et à son acolyte, de partager leurs convictions et de poursuivre leur combat pour un monde meilleur. Comme ils le feront tout au long de l’entretien, sans se prendre au sérieux. Morceaux choisis.

OFF : Comment est né ce projet de pièce ?

Noémie Schmidt : Tout est parti d’une colère vis-à-vis du métier. Nous n’avions pas bien vécu tous ces épisodes #MeToo, ainsi que la manière dont cela a été accueilli par les milieux artistiques et par la population en général. Ce mouvement dépasse beaucoup de thématiques, il touche à des problématiques structurelles hyper intéressantes à observer et à remettre en question, notamment dans le théâtre et le cinéma.

Joris Avodo : Là où nous voyions une espèce de joie, avec cette libération de la parole, pour les homosexuels, pour les personnes racisées, pour les handicapés, nous avons découvert, en fait, que ce n’était pas la fête pour eux. Cela nous a dérangés. Du coup, nous avons voulu pousser le bouchon plus loin et montrer combien cette libération de la parole pouvait être une super fête.

NS: Les réactions, en rapport à ce mouvement, ont été plutôt autoritaires et conservatrices, du coup, ça profite toujours à ceux qui sont du côté des oppresseurs, plus qu’à celui des oppressés, je pense notamment aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail, aux femmes, aux minorités… Nous avons été témoins ou victimes de ces phénomènes-là, surtout dans le milieu artistique. Il nous semblait intéressant de partir de cette idée-là et de créer une pièce avec ces maîtres-mots: la joie, la fête, la liberté…

« À mes yeux, lutter contre les inégalités, c’est lutter pour plus de liberté. »

Pour Noémie Schmidt, cette première mise en scène, chez elle, à Sion, est « un gros défi ». « C’est émouvant de pouvoir le faire dans le canton qui m’a donné le virus du théâtre et m’a permis de m’épanouir culturellement », confie-t-elle. (© Gabriel Monnet)

OFF : Vous avez lancé un appel à témoignages dans Le Nouvelliste, on explique aussi que cette pièce raconte l’histoire collective du Valais… Quel est le rapport avec #MeToo ?

NS : Nous nous sommes intéressés aux marqueurs festifs du canton – qui n’existent pas ailleurs ou alors, sous d’autres formes. Je parle du carnaval, évidemment, de la Fête-Dieu, mais aussi de la Grève des femmes – qui reste une spécificité suisse – et de la Pride – dont la première édition, à Sion, en 2001 avait fait beaucoup de bruit. Or, les meilleures personnes pour en parler, ce sont les Valaisans ! Nous avons reçu des témoignages magnifiques. Un deuxième dispositif, vidéo et anonyme, installé dans des écoles et des foyers pour personnes en situation de handicap, nous a permis d’en réunir une deuxième salve. Mais tous répondent aux questions que nous voulons aborder : c’est quoi, notre société aujourd’hui ? Comment les minorités peuvent-elles s’exprimer ?

JA: L’exemple du carnaval est d’ailleurs assez frappant. Il a un côté intemporel. C’est un peu le défi des dieux. Riche ou pauvre, homme ou femme, oppresseur ou oppressé, il n’y a plus de hiérarchie, on ose se travestir pour se mettre dans la peau d’un autre. C’est ludique, ça dépasse le cadre de la société. Du coup, dans la pièce, on essaie de se projeter dans l’avenir et de voir comment le carnaval pourrait se réinventer et quel sens on pourrait lui donner.

OFF : Comment avez-vous utilisé ces témoignages dans l’écriture de la pièce ?

JA : On les a d’abord partagés avec les comédiens afin qu’ils puissent s’en inspirer et créer des personnages. On les utilise aussi pleinement, de manière anonyme, en les citant dans la pièce. Et, comme il s’agit d’une forme pluridisciplinaire, on a aussi imaginé une exposition autour de ces témoignages à voir avant la pièce.

NS : Ce que j’aime par-dessus tout, c’est la polyphonie des voix, car ces témoignages viennent de plein de gens différents, avec des statuts différents: des hommes, des femmes, des jeunes, des vieux…

OFF : Dans cette perspective, le mouvement #MeToo n’a-t-il pas provoqué un choc des générations ?

NS : Cela viendrait à le dépolitiser… Les personnes qui nous racontent la Fête-Dieu, il y a cinquante ans, évoquent déjà le prêtre « problématique ». C’était déjà illégal à l’époque, mais ils peuvent l’écrire aujourd’hui, parce qu’on leur pose la question. Ce qui change, entre ces deux époques, c’est cette possibilité d’en parler et d’en faire quelque chose de joyeux, et plus de secret ou de honteux.

JA: Il y a d’ailleurs des jeunes qui sont plus « réac » que d’autres personnes plus âgées. Il ne s’agit pas d’un conflit des jeunes contre les vieux, c’est plus complexe que ça.

NS : L’art et la poésie nous permettent de nous rassembler autour de ces questions. Et ça, c’est génial !

OFF : À quoi peut s’attendre le spectateur avec cette pièce ? Vous parlez d’un spectacle pluridisciplinaire…

NS : On préfère qu’il n’ait pas trop d’attente, comme ça, il ne sera pas déçu. (rires) Il y aura de la vidéo, de la musique, une expo, mais ça reste une pièce de théâtre. On garde un côté carré. Le public sera assis sur des sièges et neuf comédiens seront sur le plateau pour jouer leur texte.

JA : Le spectateur doit s’attendre à être pris par la main et à être emmené, le plus joyeusement possible, jusqu’au bout de la nuit. On a prévu une after après le spectacle, avec de la raclette et des DJ’s.

NS : Ce qu’on aime dans l’idée de la fête, c’est de pouvoir se parler, de permettre aux couches isolantes, à la fois humaines et sociales, de craquer… Les gens doivent s’attendre à une fête engagée, rassembleuse, où l’on peut se dire les choses comme on a envie de les dire.

OFF : Est-ce votre premier projet en Valais ?

NS : J’ai déjà travaillé en tant qu’actrice, mais c’est la première mise en scène de ma vie, oui. C’est un gros défi. Mais c’est aussi émouvant de pouvoir le faire dans le canton qui m’a donné le virus du théâtre et m’a permis de m’épanouir culturellement. Le système éducatif en Valais est assez génial, car j’ai eu accès à plein de choses. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être coupée du monde.

« À 18 ans, il fallait que je bouge. C’était une question de survie. J’étais trop curieuse de tout. »

OFF : Auriez-vous pu imaginer votre carrière ici, en Valais ? Ou vous fallait-il absolument quitter le canton ?

NS : Il y a plein de gens qui ont choisi de faire leur carrière ici, c’est tout à fait possible et fabuleux. Mais, moi, à 18 ans, il fallait que je bouge. C’était une question de survie. J’étais trop curieuse de tout, j’avais besoin d’aller voir ailleurs. Je suis d’ailleurs partie aux États-Unis, juste pour pouvoir parler une autre langue. Mais c’est pour mieux revenir aujourd’hui… J’ai joué Antigone à Monthey, dans une série pour la RTS (ndlr. Délits Mineurs) et je reviens trois à quatre fois par an, avec mes potes, avec Joris, notamment pour le carnaval. On adore. Ce que j’aime par-dessus tout, c’est la générosité des Valaisans et des Valaisannes. Pour ce projet, un réseau – comme une famille élargie – s’est mis en place de manière spontanée pour nous aider, pour nous soutenir…

OFF : Vous êtes une personne très engagée. Est-ce essentiel pour vous ?

NS : Oui. À mes yeux, lutter contre les inégalités, c’est lutter pour plus de liberté. Je suis très attachée à l’idée de liberté collective et on n’arrivera pas à plus d’émancipation sans combattre. On n’a pas obtenu les congés payés ou l’AVS, en restant assis dans son fauteuil. Il est donc important de rendre hommage à ces gens qui ont lutté avant nous pour que nous, nous puissions continuer à nous battre aujourd’hui… Mais, en tant qu’artiste, je vois ça comme une sorte de responsabilité. J’ai une voix et je trouve fou que vous soyez là, en face de moi, à me demander ce que je pense de tout ça. Ce système de parole publique me permet de défendre ce que je crois juste pour d’autres gens que moi.

OFF : En tant qu’activiste, jusqu’où êtes-vous prête à aller ?

NS : Il y a plein de manières différentes de lutter. Certains artistes créent ou financent des choses, parfois sans le dire. Cela nous arrive de descendre dans la rue pour manifester. C’est une sensation très forte, on se sent moins seul à revendiquer ses droits…

JA : Une manifestation est souvent très joyeuse, et non ce truc véhément et énervé dont parlent les médias. Il y a des chants, de la musique, des rires… Ce sont juste des êtres humains qui se rassemblent pour faire voix commune. C’est la répression, en face, qui la rend plus dure.

NS : Si on pousse la réflexon plus loin, le fait de se réunir dans un lieu public pour célébrer une communauté et exprimer leurs convictions, c’est la définition même de la Fête-Dieu. (sourire)

Noémie Schmidt et Joris Avodo vivent dans la même ferme en Dordogne. Elle, comédienne, et lui, metteur en scène, ont déjà travaillé sur plusieurs projets communs, tels que Années 20. (© Gabriel Monnet)
Dans la série Anthracite, diffusée sur Netflix, Noémie Schmidt se glisse dans la peau d’Ida, une geek excentrique adepte du web-sleuthing, aux côtés du rappeur Hatik.

OFF : D’où vient ce caractère engagé ?

NS : Mes parents sont plutôt de gauche, mon éducation a certainement joué un rôle. Mais j’ai toujours été marquée, indignée, offusquée par l’injustice. Je suis convaincue que l’humain est capable de mieux : ce n’est pas une question de ressources, mais un problème d’organisation. Ensuite, dans mon métier, j’ai été témoin ou victime de situation problématique, de violence, d’oppression… Cela m’a poussée à plus ouvrir ma gueule. Et puis, le duo que je forme avec Joris, venu avec son parcours de vie et son expérience du monde, m’a permis d’en apprendre plus sur moi et sur les différences. Je viens d’un milieu privilégié, bourgeois, j’ai donc plus de temps, j’ai des acquis culturels et sociaux qui me permettent de construire une pensée.

OFF : Le fait de vous être installée dans une ferme en Dordogne est-il aussi une forme d’activisme ?

NS : La question est bonne. (rires) Allez, Joris, je te laisse répondre sur celle-là…

JA : (rires) Avant, on vivait dans une maison, en colocation, à Montreuil. Et notre truc était de partager des moments de vie avec le plus grand nombre de personnes. Cela débouchait ensuite sur des moments de création. On organisait des grandes bouffes, des grandes fêtes, on accueillait des gens de tous les milieux sociaux… Ça marchait bien! À un moment, on a eu envie de voir encore plus grand, tout en se rapprochant de certaines de nos convictions sur l’écologie. Sans être des anges absolus.

NS : On ne croit pas à la pureté militante. On est plutôt de la génération de la joie. Parce que la joie est un vecteur plus puissant pour militer que la moralisation.

JA : Cela nous a aussi permis de prendre du recul. On avait l’impression de se noyer en ville, de ne plus avoir de disponibilité d’esprit. Il y a tellement d’affiches, de sons, partout, qu’on finit par saturer. On avait besoin de sortir de tout ça et de partager avec le plus grand nombre. Même ici, à Sion, il y a une vingtaine de personnes dans notre maison, des chantiers partout, on parle avec des artisans… Cela nous permet de sortir du cadre culturel.

NS : En fait, on aime trop la vie, simplement ! J’ai de la chance d’être mise en avant, d’être écoutée, je me demande même parfois ce que j’ai fait pour mériter ça. Je ne veux donc pas me permettre d’être malheureuse. La vie est tellement géniale. On aime la joie, être curieux, explorer, pouvoir partager… Et puis, le fait d’avoir un potager, c’est con, mais c’est aussi une forme d’engagement. Les gens nous disent qu’on a changé de vie. Non, on la poursuit, on continue d’explorer le monde. Aujourd’hui, nous sommes là, mais je ne sais pas où nous serons dans dix ans… Pourquoi devrait-on faire les mêmes choses ?

OFF : On retrouve ce côté militant et engagé dans vos projets, comme Paris est à nous ou Années 20. Est-ce totalement assumé ?

NS : Paris est à nous, c’est plutôt le projet qui m’a choisie. Ce n’était que des amis ! Le milieu de l’art reste une industrie et obéit à des règles capitalistes et libérales. Pour ce film, nous avons ressenti le besoin de faire les choses différemment et de sortir du système. C’était la liberté totale ! Personne n’était là pour nous dire ce que nous devions faire… Je vois le côté politique dans mes choix de carrière. Mais ils répondent aussi à une stratégie économique. On m’a reproché d’avoir fait de la publicité pour une marque de parfum (ndlr. Mademoiselle de Rochas en 2017). Mais cette campagne m’a permis ensuite d’acheter ma ferme en Dordogne et de produire des projets de films. L’argent peut représenter la liberté artistique. Tout dépend de ce que tu en fais après.

OFF : Dans Anthracite sur Netflix, vous jouez le rôle d’Ida, une enquêtrice un peu farfelue. Qu’est-ce qui vous a plu dans cette série ?

NS : Je suis une fan absolue de True Crimes, sur Netflix, et les histoires de sectes, avec ces gourous qui manipulent les gens, par soif de pouvoir ou par besoin de contrôle, m’ont toujours fascinée. J’ai donc trouvé intéressant de travailler sur un tel sujet (ndlr. inspiré de l’affaire de l’Ordre du Temple Solaire). Et puis, le personnage d’Ida me plaisait. C’est une fille bourrée de problèmes : elle est malade, elle a perdu sa mère, son père se fait kidnapper… Elle a une vie dure, mais elle ne laisse rien transparaître.

OFF : Comment choisissez-vous vos rôles ?

NS : Le scénario fait beaucoup, mais l’équipe, le contexte et le lieu de tournage sont aussi importants. Pour Délits Mineurs, j’ai eu beaucoup de plaisir à tourner en Suisse et d’interpréter une travailleuse sociale. Mais le rôle que j’ai préféré, c’était celui de vétérinaire (ndlr. dans Les Vétos de Julie Manoukian). J’ai appris à manipuler des animaux, à faire des gestes de médecin, à entrer dans la vie des vétérinaires de campagne, j’ai même pu donner naissance à un veau… Dans ma carrière, c’est certainement l’une de mes meilleures scènes. Je n’aurais jamais pu vivre une telle expérience sans avoir eu ce rôle.

OFF : C’est ce qui vous plaît dans le métier de comédienne : vivre des vies différentes ?

NS : J’adore. J’aime les cascades. Dans Anthracite, je me suis retrouvée suspendue à un pont, à 90 m du sol, retenue par deux câbles. Tu vis des trucs de fou. Je viens aussi de faire un film sur De Gaulle : en novembre, j’ai passé deux semaines au Maroc. Avec Benoît Magimel, on conduisait une voiture des années 40, dans le désert, j’étais recouverte de sable, il faisait 5000 degrés… Être comédien te permet de vivre des expériences incroyables. J’aime surtout le plaisir du jeu. Jouer, c’est sortir du quotidien, de la vie. Et c’est ce qui me plaît depuis toute petite : je peux m’amuser dans la vie à être quelqu’un d’autre. La vie est un cadeau. Et j’ai envie de profiter de mon moment sur Terre. 

« La Nuit n’en finira donc pas… ?», de Noémie Schmidt et Joris Avodo, au Spot, rue du Vieux-Collège, à Sion, du 24 au 28 septembre, à 19 heures. www.spot-sion.ch

INTERVIEW

– Noémie Schmidt

Shy’m

1990 Naissance le 18 novembre à Sion.
2004 Chante dans le chœur de la Schola de Sion.
2012 Débuts à l’écran dans le court métrage d’Ewa Brykalska : Coda.
2015 onne la réplique à Claude Brasseur dans le film L’Étudiante et Monsieur Henri. Est Henriette d’Angleterre dans la série Versailles sur Canal +.
2019 Joue Anna dans Paris est à nous d’Élisabeth Vogler, un film réalisé grâce au financement participatif.
2022 Tourne dans la série Délits Mineurs pour la RTS.
2024 Mène l’enquête sous les traits d’Ida pour la série de Netflix : Anthracite.
1990 Naissance le 18 novembre à Sion.
2004 Chante dans le chœur de la Schola de Sion.
2012 Débuts à l’écran dans le court métrage d’Ewa Brykalska : Coda.
2015 onne la réplique à Claude Brasseur dans le film L’Étudiante et Monsieur Henri. Est Henriette d’Angleterre dans la série Versailles sur Canal +.
2019 Joue Anna dans Paris est à nous d’Élisabeth Vogler, un film réalisé grâce au financement participatif.
2022 Tourne dans la série Délits Mineurs pour la RTS.
2024 Mène l’enquête sous les traits d’Ida pour la série de Netflix : Anthracite.