Alice Pol « J’écris parce que j’en ai besoin »
L’actrice française s’est fait connaître pour ses rôles comiques dans Supercondriaque, Raid Dingue ou Les Vieux Fourneaux. Depuis 2023, elle dévoile une autre facette de son talent : celui d’écrivaine de polars. Son deuxième roman, En Eaux Vives, vient de sortir en librairie. L’occasion de parler avec elle de sa carrière et de cette passion pour l’écriture née pendant son enfance.
Découvrez l’interview d’Alice Pol pour Off Magazine
L’anecdote est véridique. Et Alice Pol ne se fait pas prier pour la raconter. En 2010, elle se trouve chez Canal Plus, en ballottage, favorable, pour devenir la nouvelle Miss Météo de la chaîne. Elle est dans le studio de maquillage, se préparant pour sa dernière audition. « Il y avait une sorte d’effervescence dans la maison, des danseurs passent dans le couloir, il y a des cris, des rires… J’entends alors des pas et une femme, sculpturale, métisse, apparaît dans l’embrasure de la porte. Elle se tourne vers moi et me fait un clin d’œil. Je ne savais pas qui c’était… » Il s’agissait de Beyoncé, tout simplement ! « Il n’y avait pas de témoin, je pourrais passer pour une mytho, mais cela s’est vraiment passé comme ça. »
Alice Pol n’est jamais devenue Miss Météo. Et pas parce qu’elle ne connaissait pas Queen B… Mais, depuis, la comédienne est devenue une référence dans le cinéma français, après que Dany Boon l’a embarquée dans son univers. Efficace dans Supercondriaque, percutante dans Raid Dingue, elle se révèle à la fois drôle et… maladroite. Désormais, elle a ajouté une nouvelle corde à son arc : celle de l’écrivaine. Son premier polar, Coup de pelle, paru en 2023, est devenu un succès en librairie. Et, lorsque son visage apparaît sur l’écran de mon ordinateur, elle n’est plus qu’à quelques jours de la sortie de son deuxième roman : En Eaux Vives. « La pression monte gentiment, mais je me sens plus décontractée que pour le premier », dit-elle. « On me présente désormais comme une auteure, les retours sont plutôt positifs… C’est rassurant ! »
OFF : Pourquoi cette envie d’écriture soudaine dans votre carrière ?
Alice Pol : J’ai toujours écrit, depuis toute petite. Je n’étais pas bonne à l’école ; les seules branches où je me sentais à l’aise, c’était la dissertation et la poésie. J’ai une vraie fibre littéraire et une appétence pour les mots. J’ai d’ailleurs commencé comme ça, puisque j’ai écrit ma première pièce à l’âge de 18 ans. Mais, quand ma carrière de comédienne a décollé, j’étais moins assidue, je ne parvenais pas à amener les projets jusqu’au bout. Et puis, un jour, j’ai profité d’un moment de libre pour m’attaquer à ma première histoire (ndlr. Coup de pelle). J’ai tiré un fil, puis deux, j’en ai parlé à un ami qui m’a encouragée à envoyer le texte à un éditeur… Je ne me suis plus arrêtée. Ce n’est ni une lubie, ni une démonstration. J’écris, parce que j’en ai besoin, et parce que je me sens mieux.
« Ce que j’aime, avec le roman, c’est qu’il y a peu de contraintes. Il permet une liberté totale. »
OFF : Qu’est-ce qui vous plaît autant dans l’acte d’écriture ?
AP : J’aime la profondeur dans laquelle ça nous entraîne, ce moment de solitude et de concentration extrême vers un seul but. C’est presque reposant pour moi. Ça vous prend la tête, le cerveau, dans toute sa fantaisie, sa folie, et il n’y a plus que ça qui compte. J’aime ce côté monomaniaque.
OFF : Vous êtes passée du théâtre au roman. Êtes-vous à l’aise dans tous les genres ?
AP : Une pièce, c’est plus technique, avec ses dialogues. Ce que j’aime, avec le roman, c’est qu’il y a très peu de contraintes. Il permet une liberté totale, on peut solliciter son imaginaire dans tous les sens. Il n’est jamais cloisonné.
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OFF : Et, à vos yeux, il était logique d’écrire un polar ?
AP : Non. C’est venu naturellement. Je suis partie de cette héroïne, Charlie, avec ses bizarreries, ses manques et ses craintes. C’est devenu assez vite un polar, parce que j’avais envie de cette solitude, de cette neige qui l’oppresse. Ce n’est pas juste une enquête, on découvre aussi cette vie personnelle qui lui colle aux basques et qu’elle n’arrive pas à ranger.
OFF : Le polar est à la mode. Vous-même, êtes-vous consommatrice ?
AP : Moins depuis que j’en écris… Cela m’angoisse, j’ai peur de me comparer aux autres. (rires) Mais, comme les enfants, les gens aiment se faire peur. C’est comme s’il est impossible de rapprocher le polar de la vraie vie. On sort de soi-même et on se sent complètement transporté par l’histoire. Il y a un côté distrayant à lire des polars. Le lecteur s’imagine dans la peau de l’enquêteur, il est pris dans la frénésie de la recherche d’indices. C’est en tout cas ce que j’essaie de transposer dans ma forme d’écriture.
OFF : Comment est né le personnage de Charlie ? Lui avez-vous insufflé des parts de vous-même ?
AP : On sème toujours des choses… Quand j’ai commencé à écrire, je n’avais établi aucun cahier des charges, je ne savais même pas quel âge avait Charlie. Mais, dès le départ, j’imaginais une enquêtrice à la fois courageuse et angoissée. Elle a peur de tout: des virus, des bactéries, des tremblements de terre… Elle pense qu’il peut lui arriver une catastrophe à chaque seconde de sa vie. Moi, je ne suis pas arrivée à ce point-là. (sourire) En revanche, on peut me reconnaître dans son impatience, dans ce fourmillement de pensées incessantes et cette difficulté à trier les choses. Charlie peut se laisser distraire par un détail, une phrase, une mouette qui passe. Dans la vie, ces problèmes de concentration, ça m’arrive !
OFF : Pourquoi l’avoir envoyée dans les Hautes-Alpes, à Briançon, dans un chalet perdu dans la montagne ?
AP : La nature, c’est ce qui m’inspire ! Je la connais, je la vis au quotidien quand je travaille depuis chez moi. Mais elle m’a aussi permis de mettre en exergue les peurs de Charlie. Elle s’isole de son ancienne vie, mais, en se coinçant dans ce hameau, elle s’oblige à se confronter à son passé, à son présent et à sa solitude. Il y a à la fois une attirance et une répulsion à vivre là. Or, la nature a aussi cette dualité : d’une heure à l’autre, elle peut être extraordinairement belle, mais aussi oppressante, surtout à la montagne.
OFF : Vous-même, vous avez besoin de nature. Vous êtes née à La Réunion, vous avez grandi du côté de Marseille…
AP : J’ai besoin de grands espaces, d’horizons. Je me rends souvent à Paris pour le travail, j’adore faire de grosses journées intenses. Mais je serai incapable d’écrire dans une grande ville. Depuis toute petite, je suis attirée par la nature, alors que je n’ai pas vécu mon enfance dans la ruralité. Pour mon inspiration, il me faut la mer, la montagne ou la campagne…
OFF : Vous avez un style très riche et imagé, afin que le lecteur puisse se glisser dans la tête de Charlie. Est-ce venu naturellement ?
AP : À vrai dire, je ne sais pas si je serai capable de faire autrement. Aujourd’hui, j’essaie de ranger ces pensées. Mais la digression fait partie de ma manière d’écrire et de penser. Faire un enchaînement de phrases courtes me paraît impossible.
OFF : Avez-vous été surprise du succès de votre premier roman, Coup de Pelle ?
AP : J’ai surtout été touchée. J’ai toujours eu ça en moi. Mais de là à l’assumer… Dès le moment où l’on s’expose au regard d’autrui et à l’avis des autres, la situation est plus compliquée. Après mon premier contact avec mon éditrice, pour lui proposer mon manuscrit, je suis allée voir sur le site de Robert Laffont et je me suis demandée pourquoi je m’étais lancée dans un tel projet, alors que ma carrière de comédienne marchait plutôt bien. J’étais persuadée que j’allais me prendre un vent. Et, lors de ma première interview pour le Journal du Dimanche, le journaliste me tend mon livre. C’est alors la première fois que je l’ai entre les mains et là, j’ai complètement bugué. Il n’y avait plus de son, plus d’image, pendant quinze secondes…
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OFF : Quelle est votre discipline d’écriture au quotidien ?
AP : Je me fixe des objectifs dans mon agenda, selon mon emploi du temps et mes tournages. Le troisième livre, que je viens de commencer, j’espère ainsi le terminer en novembre. Je pense atteindre les 30 000 mots à la fin juillet, 60 000 en septembre… Au quotidien, je suis disciplinée, limite maniaque. Je me mets devant l’ordinateur vers 9 heures, j’écris jusqu’à 12h30 environ, le moment où je m’offre une balade avec mes chiens pour me vider la tête. Je mange ensuite un morceau – cela change selon la saison ! – et je remets ça jusqu’à 19 heures. Après, j’arrête tout. J’ai beaucoup de mal à dormir, alors, si ma tête commence à vriller, ça part dans le décor.
OFF : Autre actualité pour vous: la sortie de cette comédie, Sirènes, sur Amazon Prime Vidéo. Selon vous, qu’est-ce que ces plateformes ont-elles amené dans la vie des comédiens ?
AP : J’ai l’impression que le choix est plus important. Cela permet à des acteurs et des actrices qui travaillent moins de retrouver une nouvelle légitimité, de l’appétence aux yeux du public. Ces films et séries forcent les producteurs à diversifier leur générique, et non à engager seulement des comédiens à la mode.
OFF : Avec ce film, on vous retrouve dans un polar…
AP : Oui, mais je le vois plus comme un de ces buddy movies, dans la veine des films américains, avec ces deux personnages féminins loufoques. J’ai une attirance pour la comédie, j’aime susciter le rire. Mon personnage, c’est du pain bénit. Elle est irrésistible, elle ose tout, elle sort du politiquement correct… J’adore ce genre d’héroïne. Et, pour moi, il est important de jouer dans des films qui puissent réunir les familles et leur permettre de s’évader.
OFF : Vous êtes plutôt abonnée aux comédies. Est-ce un choix ?
AP : J’ai fait d’autres choses. J’ai interprété Alexandrine Zola dans Cézanne et moi. Mais, quand une comédie fait 5 millions d’entrées en salle, ça prend le pas sur tout. Je pense être plus complexe et dramatique dans mon intériorité, mais, à mes yeux, faire rire répond aussi à une forme d’utilité. Quand des personnes vous arrêtent dans la rue pour vous dire que votre film leur a fait du bien dans leur vie, il y a une portée. C’est clair que ce ne sont pas avec ces films que vous gagnez des prix ou que vous montez les marches de Cannes. Mais je suis contente de jouer dans des films tous publics. Et, finalement, il ne tient qu’à moi de mettre un coup de barre de l’autre côté si j’en ressens le besoin.
OFF : Quelle place tient l’humour dans votre existence ?
AP : Il est primordial. Une journée sans rire ou sourire est une journée ratée. J’ai un fond relativement compliqué et le rire me sauve de tout ce bordel. Dans le livre, on trouve un peu de ça : le drame est racheté par une fantaisie, une bizarrerie… Or, c’est ma manière de fonctionner dans la vie. Je n’arrive jamais à rester complètement gai ou triste.
« Quand une comédie fait 5 millions d’entrées en salle, ça prend le pas sur tout, forcément ! »
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OFF : Dans votre carrière, il y a une rencontre importante, celle avec Dany Boon. C’était votre destin ?
AP : Ah oui, totalement ! J’ai eu le temps de me repasser le film de tout ça… Quand Pascal Chaumeil m’engage pour jouer dans sa comédie, Un plan parfait, Canal Plus venait de m’informer que je ne serais pas sa prochaine Miss Météo. Je n’ai aucune scène avec Dany, il ne me découvre qu’au moment de la première projection du film. Néanmoins, il me trouve trop jeune pour le rôle dans Supercondriaque, il a d’autres actrices en tête, j’ai donc zéro chance de faire partie de ce projet. Et puis, il vient voir ma pièce, celle que j’ai écrite, et c’est ce qui déclenche tout le processus. Le destin s’est mis en place, mais c’est aussi à toi de l’alimenter, ça vient aussi de ce que toi, tu peux apporter. Quant à Raid Dingue, ça ressemble tellement à ce que j’ai vécu dans mon adolescence. C’est l’univers de Dany, mais il y a ajouté des bouts de moi qu’il a attrapés, je ne sais pas comment…
OFF : Étiez-vous à ce point maladroite ?
AP : J’étais maladroite, je n’étais jamais à ma place, j’oubliais mes affaires de sport quand il y avait cours… Il y avait toute cette contre-vie !
OFF : Vous avez aussi donné la réplique à Pierre Richard, un autre maladroit notoire. C’était comment sur le tournage ?
AP : Pierre, c’est un monument de la comédie. Il fait partie des gens que j’ai admirés dans mon enfance et qui ont contribué à cette envie de jouer des filles loufoques, plutôt que des princesses. Mais, et c’est assez drôle, autant j’étais maladroite dans mon enfance, autant je suis maniaque dans mon travail. Je n’oublie rien, tout est organisé au cordeau… C’est deux vies, deux personnalités. En fait, c’est la vie qui est compliquée ! (rires)
OFF : Vous avez écrit une pièce, deux livres… Est-ce qu’il y a des envies de créer pour le théâtre, encore, ou pour le cinéma ?
AP : J’ai une deuxième pièce qui attend depuis un moment dans un tiroir et que j’aurais la possibilité de jouer dans un beau théâtre. Et, à la suite du succès de Coup de Pelle, je commence à réfléchir à une adaptation pour la télévision. J’ai rencontré la personne qui sera ma productrice. Mais je ne vais pas réaliser ce film, puisque c’est moi qui tiendrai le rôle de Charlie. Cela ferait trop ! D’ailleurs, quand je rencontre mes lecteurs dans les salons, il était logique, à leurs yeux, que je devienne Charlie…
OFF : En 2020, vous avez rejoint la famille des Enfoirés. Comment est-ce arrivé ?
AP : On est venu me chercher, mais j’en rêvais… Pour moi, cette troupe représente la quintessence du destin d’artiste. C’est la plus noble des causes, on se penche sur un problème très concret. Je suis émue chaque année. Quand on se retrouve, cela fait un peu colonie de vacances. Mais tout le monde est très investi. Il y a beaucoup de travail, de passion, d’envie… D’un côté, vous avez l’impression d’organiser l’un des plus gros concerts sur la planète, de l’autre, vous avez des bénévoles qui vous préparent des petits trucs à manger ou qui vous ramènent à l’hôtel le soir. On crée un véritable pont entre le monde artistique et l’humanitaire.
« En Eaux Vives », d’Alice Pol.
Éditions Roland Laffont, 2024. 298 pages.