Interview

RÉBECCA BALESTRA « JE SUIS UNE VRAIE DIVA CRA-CRA ! »

CHRONIQUEUSE SUR FRANCE INTER ET CANAL PLUS, LA GENEVOISE INCARNE JACQUELINE MAILLAN SUR SCÈNE DANS UNE PIÈCE ÉCRITE PAR GUILLAUME POIX. QUI SE CACHE DERRIÈRE CETTE HUMORISTE SURVOLTÉE ? POURQUOI A-T-ELLE CHOISI CE MÉTIER SI EXIGEANT ? INTERVIEW VÉRITÉ AVEC UNE COMÉDIENNE TOUCHANTE ET HONNÊTE.

Par JEAN-DANIEL SALLIN / Photos : MAGALI GIRARDIN

La vie est parfois simple. Il a suffi que la directrice des talents de Canal Plus traîne son oreille sur les ondes de France Inter pour que Rébecca Balestra se retrouve dans les bons papiers de la chaîne cryptée. Antoine de Caunes recherchait une chroniqueuse pour sa nouvelle émission consacrée au cinéma, Super Plan. Avec ses personnages déjantés et son humour politiquement incorrect, déversé chaque semaine à la radio, la Genevoise est dans le cœur de cible. Banco ! L’automne dernier, elle a donc enregistré cinq émissions, dans lesquelles elle ressuscite Simone Signoret, avant de donner vie à une boîte de kleenex et à un… navet. « J’ai signé un contrat seulement jusqu’à la fin de l’année », nous dit-elle, attablée à la table de la brasserie Bagatelle, à Genève. « J’ai été transparente avec eux, j’avais un autre projet prévu depuis longtemps pour la fin de l’année. Je reviendrai en 2026 ! »

Cet autre projet, c’est cette pièce inspirée de la vie de Jacqueline Maillan ! Le pitch ? Face au déclin de sa carrière, la comédienne décide de se donner la mort. Mais, coup de théâtre, après avoir ingurgité un cocktail de barbituriques, on lui propose un grand rôle. « Elle va se battre pour rester en vie », avertit Rébecca Balestra. Écrit par Guillaume Poix, mis en scène par Manon Krüttli – les mêmes qui ont créé Le père Noël est une benne à ordures – ce spectacle n’est donc pas un biopic sur Jacqueline Maillan. « Le plus important, c’est le phrasé, la puissance de jeu de cette actrice. Le texte est écrit d’une telle façon qu’on ressent ses tics de langage, son souffle. » Créée à l’Usine à Gaz, présentée à l’Arsenic, puis à la Comédie de Genève, la pièce espère avoir une seconde vie en 2026 dans l’Hexagone.

Existe-t-il un mystère Balestra ? À voir cette jeune femme posée, maman de deux enfants, avec sa taille mannequin et son regard angélique, on se demande comment la Genevoise peut se transformer en comique survoltée, capable des pires punchlines, dès qu’elle se glisse dans son costume de scène. Marina Rollman – qui l’a conseillée pour son one-woman-show en 2022 – loue son talent de comédienne. Sa performance dans Olympia a été applaudie par la critique et les médias. Cela ne l’empêche pas de douter et de penser que tout peut s’arrêter demain.

QU’EST-CE QUE CELA REPRÉSENTE POUR VOUS DE TRAVAILLER POUR CANAL PLUS ?

C’est un fantasme. Toute la période de Nulle part ailleurs, avec Antoine de Caunes et José Garcia, a été hyper fondatrice pour moi – dans l’écriture, le côté délirant et le jeu avec les costumes. Cela a inspiré tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. Cette chaîne est aussi l’une des plus grandes productrices de cinéma en France. J’adore son esthétisme… C’est un immense honneur d’y travailler.

AVEZ-VOUS CARTE BLANCHE AU MOMENT D’ÉCRIRE VOS CHRONIQUES ?

Pas totalement ! Je dois toujours tenir compte de l’invité de l’émission ou du thème abordé. Mais je peux partir d’un mot du film et aller complètement ailleurs. Cela me laisse assez peu de temps. D’autant que, parfois, les invités se décommandent à la dernière minute ou ne sont pas là, je dois rapidement changer des choses.

VOUS AVEZ COMMENCÉ AVEC SIMONE SIGNORET…

L’émission parlait du film de Diane Kurys, Toi qui m’aimais, avec Roschdy Zem et Marina Foïs. J’imite toujours des personnages qui me fascinent ou que j’adore. L’imitation devient compliquée quand on n’aime pas les gens, cela peut vite tomber dans la moquerie. Pour cette chronique, je me suis inspirée de ses interviews, iconiques pour moi, où elle dit qu’elle n’est pas une star, qu’elle n’aime pas sourire, qu’elle déteste les flashes… C’est à la fois paradoxal et drôle, parce qu’au fond, c’est une star ! J’ai essayé de tirer le fil de ça.

COMMENT SE PASSE LA COLLABORATION
AVEC ANTOINE DE CAUNES ?

C’est formidable de performer devant quelqu’un qui a l’œil rieur. Je n’aurais jamais imaginé travailler un jour avec lui. Antoine est l’un de mes modèles dans l’humour français : il a une belle plume, il est grivois et, en même temps, super élégant. Je n’ai pas été déçue de la rencontre. Dans le métier, il est d’ailleurs très aimé : à la fois pointu, sensible et cultivé.

VOUS SENTEZ-VOUS TOTALEMENT LÉGITIME POUR PARLER DE CINÉMA ?

Je suis fan en tant que spectatrice. On parle des acteurs, du jeu, de la mise en scène… Je me sens donc tout à fait à ma place. Cela étant, je n’ai aucune expérience en tant qu’actrice. Jouer dans un film serait une nouvelle aventure pour moi.

VOUS AVEZ POURTANT TOURNÉ DANS LA SÉRIE ESPÈCE MENACÉE RÉCEMMENT…

Exact, mais j’ai joué avec des personnes que j’ai l’habitude de côtoyer au théâtre. Il y avait un côté familier qui me rassurait. Démarrer quelque chose avec une équipe que je ne connais pas serait plus compliqué. J’ai toujours du mal avec les caméras, j’ai de la peine à abandonner mon image… Je n’ai pas grandi avec le mythe qu’un Pygmalion viendrait me chercher et me révélerait à la terre entière. Parce que je me suis toujours trouvée invisible, pas à la hauteur. Si je voulais réussir dans ce métier, il fallait que je le fasse par moi-même. C’est pourquoi j’aime tout construire : le personnage, le costume, etc. Laisser les rênes à quelqu’un d’autre me fait peur, car je crains qu’on me voit telle que je n’ai pas envie qu’on me voie.

VOUS AIMEZ TOUT CONTRÔLER, C’EST ÇA ?

Oui, à part quand je suis en confiance avec les gens qui m’entourent. Là, je travaille avec un auteur, Guillaume Poix, qui est brillantissime. C’est très agréable de se laisser porter, de s’abandonner à une langue qui n’est pas la sienne… Pareil avec Manon Krüttli, la metteuse en scène ! Je leur fais une confiance aveugle.

ÊTES-VOUS SATISFAITE DE L’IMAGE QUE VOUS AVEZ DONNÉE DANS ESPÈCE MENACÉE ALORS ?

Je ne me suis pas trop regardée, en fait ! Je suis très exigeante avec moi-même, je suis même la pire juge. J’ai tendance à viser l’excellence. Je pars du principe que, si on prend le temps des gens au théâtre ou à la télévision, il faut que ça vaille la peine. Comme je suis loin d’être excellente, il y a toujours cet écart qui reste frustrant, décevant… Mais c’est aussi mon moteur au quotidien pour dépasser un peu plus mes limites.

C’EST ASSEZ PARADOXAL D’AVOIR CHOISI UN MÉTIER OÙ L’IMAGE EST IMPORTANTE…

Isabelle Huppert a souvent dit se sentir être rien et que le fait d’avoir un rôle, une caméra, quelque chose qui cadre, lui permettait de construire quelque chose… Dans mon enfance, je n’ai pas été rejetée, ni harcelée : je n’existais pas, j’étais comme un fantôme. Lorsque j’ai commencé à participer aux ateliers de théâtre, c’était comme si on m’avait vue pour la première fois. Les gens me reconnaissaient dans la rue, à la Migros… Je me suis construite avec l’idée que, sans le théâtre, sans le jeu, sans le personnage, je n’existais pas.

C’EST LA RAISON POUR LAQUELLE VOUS AIMEZ VOUS CACHER DERRIÈRE UN PERSONNAGE ?

Pas forcément. J’aime le costume, parce que je viens d’une famille qui avait un magasin de costumes à Plainpalais (ndlr. Balestra Costumes, tenu par sa grand-mère à la rue Léchot). Mais, même derrière un personnage, je reste moi. C’est même une façon d’être encore plus moi-même. Comme Jacqueline Maillan dans la pièce, la scène me donne la vie. Je ne me sens jamais aussi vivante que lorsque je joue. Regardez le nombre de comédiens qui jouent avec la gastro ou, comme moi, enceinte ! C’est comme si la scène nous donnait cette adrénaline, cette pulsion de vie…

À QUEL MOMENT VOUS ÊTES-VOUS DIT QUE VOUS POURRIEZ FAIRE UNE CARRIÈRE DE COMÉDIENNE ?

Tardivement, parce que j’ai toujours cru que je n’y arriverai jamais. Quand je suis entrée au conservatoire, puis à la Manufacture, c’était déjà un miracle pour moi. Une fois mon diplôme en poche, je pensais que personne ne m’engagerait. Cela s’est fait par fidélité, parce qu’on s’entend bien avec une personne et qu’on a envie de continuer ensemble. J’ai aussi commencé à créer mes propres personnages. Je n’ai pas attendu à côté de mon téléphone que quelqu’un me propose un rôle, car j’étais persuadée que ça n’arriverait jamais.

VOUS AVEZ TOUJOURS ÉTÉ PROACTIVE…

Exactement. J’ai souvent le sentiment que si j’arrêtais, tout s’écroulerait. Aujourd’hui plus que jamais… C’est le chant du cygne ! (rires) Cela fait écho avec le thème de cette pièce. Jacqueline Maillan était une bête de scène, une grande dame, mais, si on gratte un peu, on se rend compte qu’elle a toujours été en quête de reconnaissance. Son rêve était de devenir une actrice de tragédie. Mais elle a vécu un épisode traumatique au cours Simon : elle a commencé à jouer une scène d’Andromaque et tout le monde s’est mis à rire. Cette blessure d’ego, elle a tenté de la réparer toute sa vie. Elle avait l’impression de ne pas être reconnue pour ce qu’elle était.

ET VOUS, POURQUOI AVOIR CHOISI L’HUMOUR ?

Parce que j’aime l’exercice. Faire rire les gens est un exploit. Quand j’ai commencé les ateliers de théâtre, les gens ont commencé à rire dans la salle. Je suis devenue addict à ça. Car le rire est une démonstration sonore, on ne se sent plus seul. C’est comme une décharge émotionnelle. J’ai pris ces rires comme de l’approbation, de l’amour…

EXISTE-T-IL UN STYLE BALESTRA ?

Le public m’a vite catégorisée comme une humoriste trash et vulgaire. Mais cela vient des réseaux sociaux et de mes chroniques à la radio. Les gens viennent moins au théâtre : ils ne connaissent pas mon image de comédienne, ils ne savent pas que je fais des choses très différentes.

D’OÙ VIENT ALORS CE CÔTÉ VULGAIRE ? EST-CE L’EXERCICE DE LA RADIO QUI VOUS POUSSE À EXPLORER CETTE VOIE ?

En fait, je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. Ce n’était pas une volonté de provoquer… Quand j’ai commencé dans l’émission Les Beaux Parleurs, mes chroniques ont été diffusées sur les réseaux sociaux et sur YouTube. J’ai découvert que j’avais des retours hyper négatifs. J’ai essayé de m’assagir : j’ai contrôlé mon écriture, j’ai tenté de faire autre chose… Mais j’étais malheureuse. Je suis revenue à ce que je faisais avant et là, tout s’est accéléré, j’ai eu France Inter, puis Canal Plus. J’ai eu ce moment d’errance sur La Première, où j’ai essayé d’être quelqu’un d’autre que celle que j’étais vraiment, pour correspondre à la norme et plaire aux fâchés.

À QUOI SERT L’HUMOUR FINALEMENT ?

À penser autrement. L’humour amène un autre point de vue sur les choses, différent que la simple pensée intellectuelle ou critique. Et puis, il provoque cette décharge émotionnelle dont je parlais avant. Le rire, l’émotion qui sort, c’est cathartique, ça soulage !

VOUS FAITES DU THÉÂTRE, DE LA RADIO, DE LA TV… VOUS VOUS ÊTES AUSSI ESSAYÉE AU STAND-UP. VOUS AVEZ APPRÉCIÉ L’EXERCICE ?

Je ne suis pas très à l’aise avec l’improvisation. Je me considère aussi comme antisociale. Alors, casser les murs et m’adresser à quelqu’un pour savoir ce qu’il a fait de sa journée, ce n’est pas mon truc. Je n’ai pas envie de vivre ce moment-là. Mon acte social se passe à travers l’histoire que je raconte. J’aime trop incarner un personnage, mettre un costume.

D’OÙ VIENT CETTE PASSION POUR LE DÉGUISEMENT ?

C’est dans mon ADN. À chaque fois que mes parents organisaient une soirée, c’était toujours costumé. Il y avait un thème et on se servait dans le stock de ma grand-mère… On le fait moins maintenant, mais c’était une tradition familiale.

QUEL SERAIT VOTRE COSTUME IDÉAL ?

Cela dépend du thème, c’est très sérieux comme question ! (rires) J’aime quand c’est beau, bien coupé… De ce point de vue-là, j’ai un aspect très diva. Mais, de l’autre, j’ai un côté infâme : j’aime les salissures, j’adore tout dégueulasser, moi-même comme mes partenaires. Alors, je choisirais une robe de créateur, magnifique, avec des paillettes, qui coûterait une fortune, et je viendrais la customiser avec de la boue. Je serais aux anges. Une vraie diva cra-cra !

CANAL PLUS A LANCÉ PLUSIEURS CARRIÈRES DANS LE CINÉMA. Y PENSEZ-VOUS AUSSI DANS UN COIN DE VOTRE TÊTE ?

Oui. Mais il y a tellement plus de gens partout, sur les réseaux sociaux, à la télévision… Encore une fois, je ne crois pas que je vais être révélée par quelqu’un, qu’un jour, un réalisateur aura envie d’écrire un rôle pour moi, parce qu’il m’a vue sur Canal Plus. J’ai l’impression que je vais devoir toujours écrire, créer, m’agiter pour continuer à exister dans ce monde.

POURTANT, C’EST CE QUI EST ARRIVÉ AVEC CANAL PLUS !

Oui, c’est vrai. C’est même arrivé plusieurs fois, avec Mathieu Bertholet, au Théâtre de Poche, avec Guillaume Poix. C’est mon problème intérieur : je ne crois pas assez en moi. Je pense que je ne suis jamais assez remarquable pour être remarquée. C’est peut-être ce qui explique mon côté exubérant : je veux toujours en faire plus pour être vue.

IL N’Y A JAMAIS UN MOMENT OÙ VOUS VOUS DITES : LÀ, C’ÉTAIT BIEN ?

Ça arrive, mais c’est rare ! Sur France Inter, j’ai été satisfaite de mon écriture et de mon rythme sur certaines chroniques. J’ai aussi été très contente de travailler avec toute cette bande pour Le père Noël est une benne à ordures. Mais c’est dur de se voir en vidéo. Si je me regarde, c’est pour faire l’après-match ! Je regarde tous les détails, je ne vois que ce qui n’a pas fonctionné.

VOUS VOUS ÊTES TRÈS VITE MISE À ÉCRIRE ET À METTRE EN SCÈNE VOS SPECTACLES. D’OÙ VIENT CETTE URGENCE ?

J’ai toujours préféré la fiction à la réalité. C’est d’ailleurs ce qui rend dingue mon mari ! Je préfère lire Ramuz ou un livre qui parle de montagne, plutôt que d’aller à un endroit pour profiter du panorama. Déjà petite, je me réfugiais dans mon imaginaire. Pour moi, il est plus naturel d’aller sur scène pour faire un monologue que d’entrer dans ce café et de dire bonjour au serveur. 

« Jacqueline », de Guillaume Poix, avec Rébecca Balestra.
À la Comédie de Genève jusqu’au 14 décembre.
Les 18 et 19 décembre au TPR, à La Chaux-de-Fonds.

Rébecca Balestra s’est glissée dans la peau de Jacqueline Maillan dans une pièce écrite par Guillaume Poix et mise en scène par Manon Krüttli.

RÉBECCA BALESTRA

1988 Naissance le 27 mai à Genève.
2013 Obtient son bachelor en théâtre à la Manufacture, à Lausanne.
2015 Dans son premier spectacle, Flashdance, elle reproduit la chorégraphie du striptease du film.
2021 Publie un recueil de poèmes, Minuit Soleil. Incarne une icône du glamour dans Olympia.
2022 Écrit avec Marina Rollman son premier seul en scène intitulé Rébecca Balestra.
2023 Reçoit le Prix suisse des arts de la scène.
2024 Joue dans la série TV, Espèce menacée, réalisée par Bruno Deville.
1988 Naissance le 27 mai à Genève.
2013 Obtient son bachelor en théâtre à la Manufacture, à Lausanne.
2015 Dans son premier spectacle, Flashdance, elle reproduit la chorégraphie du striptease du film.
2021 Publie un recueil de poèmes, Minuit Soleil. Incarne une icône du glamour dans Olympia.
2022 Écrit avec Marina Rollman son premier seul en scène intitulé Rébecca Balestra.
2023 Reçoit le Prix suisse des arts de la scène.
2024 Joue dans la série TV, Espèce menacée, réalisée par Bruno Deville.


Scénographie : © Sylvie Kleiber

© SANDRA POINTET