, Reportage

Sion sous les étoiles : Chanter au cœur des montagnes

Créé en 2014 par michael drieberg, le festival vient de vivre sa dixième édition en juillet, avec gims, santa, soprano, judas priest et the beach boys. Comment est-il parvenu à trouver sa place face aux mastodontes du genre en suisse romande, le montreux jazz et paléo ? Notre reportage en valais.

Par Jean-Daniel Sallin / Photos : Lenny Drieberg & LDV Production

Les collines de Valère et Tourbillon semblent veiller sur les lieux. Paisibles. Inamovibles. Dans quelques minutes, le soleil ira se coucher derrière la couronne de montagnes qui sert de toile de fond, tandis que, sur scène, Core Leoni – le spin off de Gotthard, créé par Teo Leoni, guitariste historique du groupe de hard rock tessinois, en 2017 – commence à faire gentiment monter les décibels. Sur les deux terrains d’entraînement qui accueillent le festival, les spectateurs ne se lassent pas de ce cadre enchanteur. Derrière la scène, on aperçoit la carcasse grise du stade du FC Sion : au repos forcé après l’Euro féminin, il a été réquisitionné pour héberger les loges des artistes. Là où ils se ressourcent, à l’abri des regards, avant de se produire sous le ciel immaculé du Valais.

En attendant Alice Cooper, puis Judas Priest, le public profite des stands de nourriture. Raclette, fish’n chips, crêpes, burgers, churros… Le menu ne varie pas d’un autre festival. Mais, avec une jauge maximale de 15 000 spectateurs, il n’est pas nécessaire de jouer des coudes pour se faire servir. Appréciable ! Sur le terre-plein, quelques partenaires proposent, de leur côté, des jeux, pour petits et grands, afin de gagner des goodies. Qui n’a pas eu ses claquettes aux couleurs de la Coop ? Et ses chaussettes Eurodreams ? Il règnerait presque un air de Foire du Valais où terroir et convivialité sont au diapason. Attention à ne pas abuser du fendant !

L’atmosphère change, tandis que la nuit enveloppe Sion de son mystère. Avec son légendaire look de vampire anobli, haut-de-forme compris, Vincent Furnier, alias Alice Cooper, débarque sur scène avec ses acolytes. Bandana rouge autour de la tête, son guitariste, Tommy Henriksen, a des faux airs de Jack Sparrow. C’est pourtant Nita Strauss, avec sa chevelure blonde et son exubérante sensualité, qui attire tous les regards ! À 35 ans, l’Américaine est considérée comme l’une des meilleures dans son domaine. Elle le prouve à chacun de ses solos. Pendant une heure et demie, Alice Cooper déroule alors un spectacle qui navigue entre horreur et provocation. On y voit des squelettes se dandiner sur les écrans géants, Jason, derrière son masque de hockey, de la saga Vendredi 13, poursuivre une jeune femme sur scène… Le chanteur finit par se faire couper la tête par une guillotine, actionnée par une fausse Marie-Antoinette. Morbide à souhait !

Dans un crescendo de décibels, Judas Priest a l’honneur de clore cette soirée rock. Le groupe britannique vient de faire le Hellfest, à Clisson. Lorsque Rob Halford apparaît sur scène, avec sa barbe blanche et son manteau de cuir clouté, ce sont bien les flammes de l’enfer qui s’abattent sur Sion et la vallée du Rhône ! « C’est le seul groupe qui a demandé d’ajouter une clause dans leur contrat pour ne pas avoir de limitation de son », indique Michael Drieberg, directeur de Live Music Production. « Nous avons dû nous battre pour qu’ils acceptent la loi suisse (ndlr. le niveau sonore moyen, lors d’une manifestation, est de 100 dB). Ils étaient prêts à rendre les gens sourds ! » Il accueillera Judas Priest à la salle Métropole, à Lausanne, pour sa tournée d’adieux. « Ils vont faire tomber les lustres », sourit l’organisateur. Il est passé minuit lorsque le silence revient enfin au pied de Tourbillon. Les oreilles sifflent, mais les spectateurs ont la banane. La magie de Sion sous les étoiles a encore opéré.

PLUS DE TRENTE ANS D’EXPÉRIENCE

Il en fallait du courage – ou de l’inconscience ? – pour glisser un festival entre les deux mastodontes du genre en Suisse romande, le Montreux Jazz et le Paléo, en plein mois de juillet, dans un calendrier déjà surchargé. Mais Michael Drieberg aime les défis. N’a-t-il pas réussi à faire entrer Mylène Farmer et Céline Dion dans un Stade de Genève, pourtant peu compatible avec ce genre de manifestation ? Ou à réunir plus de 22 000 fans à Palexpo pour le concert de Metallica en 2018, devenant ainsi le « plus grand concert indoor en Suisse » ? L’homme a surtout plus de 30 ans d’expérience dans le show business. Michael Jackson et U2 à la Pontaise ? C’est lui. Le Cirque du Soleil et le Crazy Horse en Suisse romande ? C’est encore lui. Il a travaillé avec les tauliers de la chanson française – Johnny Hallyday, Michel Sardou, Jacques Dutronc, Indochine, etc. – et a vu grandir la nouvelle génération : Gims, Kendji Girac, Vianney, Christophe Maé, Soprano… Cependant, à l’exception du Leysin Rock Festival, qu’il découvre en 1992, lorsqu’il devient actionnaire de Very’x Show Production (ndlr. qui deviendra Live Music Production), le Genevois ne s’était jamais frotté à l’exercice. Jusqu’à ce qu’il hérite de la licence des Francofolies, créées par Jean-Louis Foulquier en 1985, et organise trois éditions dans la station de Nendaz au début du XXIe siècle.

« C’était une demande des remontées mécaniques », se souvient Michael Drieberg. « L’objectif était de médiatiser le fait que les skieurs pouvaient accéder aux pistes de Verbier depuis Nendaz. » Ce festival est à l’origine de toute l’aventure à Sion. « En descendant, je voyais le stade de Tourbillon et, moi, dès que je vois une plaine, j’ai envie d’y faire quelque chose », s’esclaffe l’entrepreneur. Il commence par organiser des concerts dans l’enceinte du FC Sion. Mais, avec une capacité de 20 000 spectateurs, le site est trop petit pour y accueillir des stars internationales. Impossible à rentabiliser ! Quant aux artistes francophones, ils sont peu nombreux à pouvoir remplir un stade. « Une fois que tu as fait venir une fois Johnny, Pagny et Sardou, cela devient moins intéressant. » Après sept concerts, le Genevois dit stop. Mais le « piège valaisan » s’est vite refermé sur lui.

« Tu peux avoir la meilleure programmation du monde, c’est souvent le lieu, l’ambiance, qui donnera envie aux spectateurs de revenir. »

SOPRANO : Le rappeur marseillais a fait l’unanimité auprès du public de Sion.

JUDAS PRIEST : Avec son leader, Rob Halford, le groupe britannique a mis le feu à la vallée du Rhône.

MICHAEL DRIEBERG : Directeur de Live Music Production, le Genevois a réussi son pari : son festival fait le plein !

LAMOMALI : L’aventure malienne de M a fait son retour en 2025 avec la voix de Fatoumata Diawara. À (re)voir le 2 décembre à Genève !

GIMS : C’est un fidèle du festival ! C’est la quatrième fois qu’il s’arrête à Sion, dont une avec son frère, Dadju, et une autre avec Sexion d’Assaut.

ALICE COOPER : À 77 ans, l’Américain n’a pas perdu son sens du show. Entre horreur et provocation.

NITA STRAUSS : La guitariste d’Alice Cooper a apprécié son séjour en Valais.

UN MILLION DE PERTES EN 2014

« Un jour, j’ai été invité au Grand Raid », raconte Michael Drieberg. « Tous les gens que je croisais me demandaient quand j’organiserais le prochain concert en Valais. J’ai senti qu’il y avait une vraie demande, de la ville, des autorités, des spectateurs. » Il imagine alors un festival, à Sion, en juillet. Au contraire des autres régions romandes, le Valais n’a pas encore « son » rendez-vous estival. Il est temps d’y remédier. Pour la première édition, en 2014, le Genevois organise la manifestation dans le stade de Tourbillon, pendant deux jours. La programmation ? Christophe Maé, Stress, Tal, Corneille, Amel Bent, Patrick Bruel… Le Genevois loue la scène que Johnny Hallyday avait utilisée pour son concert à la tour Eiffel : transparente, elle devait permettre aux spectateurs de profiter du panorama et des… étoiles. Bizutage ou mauvais sort ? La tempête qui s’abat sur le site, le dimanche soir, la transforme en montgolfière. « Nous avons dû découper les éléments au couteau pour éviter qu’elle ne s’envole », frissonne l’organisateur.

Avec 7000 spectateurs seulement et une deuxième soirée tronquée, cette première édition se solde sur une perte d’un million de francs. De plus, Michael Drieberg n’est pas totalement satisfait du résultat final. « Par fainéantise, j’avais choisi d’occuper le stade, parce que je le connaissais par cœur. C’était une erreur ! Pendant les concerts, on se retrouve face à des tribunes vides et on ne voit même pas ce qui fait la beauté des lieux : les montagnes, les vignes… » Pire : comme les stands de nourriture et les bars se trouvent à l’extérieur de l’enceinte, la pelouse se vide régulièrement. Le Genevois décide néanmoins de remettre l’ouvrage sur le métier en 2015. Sur trois jours, cette fois, et à l’extérieur du stade. Au programme : Mark Knopfler, Scorpions, Gotthard… Il tente même la carte de l’humour avec Gad Elmaleh – lequel fait un carton. Le bilan ? Une perte d’un million de francs, encore, mais un public en nette progression (15 000 spectateurs).

UNE VILLE EN PLEIN DÉVELOPPEMENT

« L’ADN de tous les festivals, c’est le bouche-à-oreille », analyse Michael Drieberg. « Tu peux avoir la meilleure programmation du monde, c’est souvent le lieu, l’ambiance, qui donnera envie aux spectateurs de revenir et d’encourager des potes à les accompagner. » Il prend alors le risque de persévérer. Même si ça doit mettre en péril Live Music Production. Le temps lui donne raison : en 2025, Sion sous les étoiles vient de célébrer sa dixième édition. La jauge, elle, plafonne désormais à 60 000 spectateurs. Le festival a trouvé sa place dans le calendrier des Romands. Malgré la concurrence directe du Montreux Jazz. « Si, par le passé, le public était à 100 % valaisan, aujourd’hui, 45 % du public vient des cantons romands, Neuchâtel, Fribourg ou Vaud. » Et les annulations dues au Covid-19 n’ont pas remis en doute son existence…

Comment expliquer ce succès ? Sion a des atouts. Statistique à l’appui, elle est considérée comme la « ville la plus ensoleillée de Suisse ». « Depuis 2014, nous n’avons connu que deux jours et demi de pluie », constate Michael Drieberg. Le Valais est surtout une destination de vacances : les familles – comme celles qui ont pris Tourbillon d’assaut pour voir Helena et Soprano – profitent du festival pour prolonger leur séjour et profiter des activités proposées aux alentours. « Nous avons vu grandir la ville en douze ans, avec un taux démographique parmi les plus grands de Suisse (ndlr. +15,6 % depuis 2010) et ça se remarque dans le développement des infrastructures. » Golf, VTT, randonnée, chute libre indoor, bassin de surf, bains thermaux… L’offre est suffisamment alléchante pour occuper ses journées avant de « descendre » au festival.

UNE DEUXIÈME SCÈNE OU NON ?

Artistes et producteurs apprécient également la région à sa juste valeur. Si les Français enchaînent les dates en été et s’attardent rarement en Suisse, les internationaux, eux, restent une ou deux journées supplémentaires pour respirer le bon air du Valais. « J’ai déjeuné avec Nita Strauss, elle revenait de trois heures et demie de balade dans les montagnes, avant de téléphoner à son mari pour l’exhorter à y réserver leurs prochaines vacances », indique Michael Drieberg. Arrivé en jet privé avec son équipe de 44 personnes, Alice Cooper, lui, s’est échappé, avec son tour manager, pour faire du shopping à… Genève. « Nous sommes le seul festival en Suisse à avoir un aéroport à cinq minutes de la scène », se réjouit l’organisateur.

Mais, après chaque édition, l’organisateur se pose des questions sur l’avenir de « son » festival. Faut-il le faire grandir ? Ajouter une deuxième scène pour accueillir plus d’artistes ? Ou conserver ce côté convivial et familial ? Il pourrait profiter du parking, de l’autre côté de la route, pour s’étendre. « N’avoir qu’une seule scène est un avantage », analyse-t-il. « Après chaque concert, le public a une demi-heure de répit pour discuter, aller aux toilettes ou manger un morceau, sans avoir ce stress permanent de courir d’une scène à l’autre pour ne rien manquer de la programmation. De plus, quelle que soit votre place sur le terrain, vous voyez le spectacle… » Il n’y voit qu’un seul inconvénient : ne pas pouvoir donner leur chance à des découvertes. Avec quatre groupes par soir, il doit miser sur des artistes qui ont déjà un nom.

LA QUESTION DE LA PROGRAMMATION

La programmation, justement, lui donne un autre os à ronger. Quelle est la meilleure recette pour satisfaire tout le monde ? Mélanger les genres, comme il l’avait fait au début ? « Non », réplique-t-il. « En dehors du Valais, le public ne se déplace pas, s’il n’y a qu’un seul artiste qu’il apprécie au programme ! » La tendance, dans les festivals romands, ce sont les soirées thématiques ! Rock, chanson française, musiques urbaines, années 80… Du Caribana au Venoge, chacun apprête sa sauce à sa manière. À Sion, cette année, le heavy metal et le rap avaient pignon sur rue. Sera-ce encore le cas en 2026 ? « Je suis fier d’être le dernier festival en Suisse romande à proposer des soirées 100 % rock, mais je me demande si le bassin de spectateurs est suffisamment grand pour des artistes aussi pointus que Judas Priest ou Alice Cooper. » Mêler la pop et le rock serait une option pour séduire un public plus large.

Quant aux musiques urbaines, victimes de leur démocratisation, elles souffrent clairement de leur… vitalité. « Quand tu signes un artiste pour le festival, tu n’es jamais certain qu’il soit encore en top de liste, six mois après », constate Michael Drieberg. « Il y en a toujours un ou deux nouveaux qui affichent des millions de vues sur les réseaux sociaux et enchaînent les featurings… Cela devient très compliqué à suivre. D’autant que le marché en Suisse est différent de la France. Un rappeur peut faire deux ou trois fois le Stade de France et n’attirer que 4000 personnes chez nous. » Cette année, le festival a même été contraint de modifier son line-up après le décès soudain de Werenoi, victime d’une défaillance cardiaque à l’âge de 31 ans.

Une chose est sûre : le Genevois peut profiter de son expérience et, surtout, de son réseau, bâti au fil de ses années à la tête de Live Music Production, pour nourrir son festival. « À la différence d’autres manifestations, nous sommes les seuls à programmer ces artistes pendant toute l’année », admet-il. « Pour la plupart, nous étions à leur côté à leurs débuts, à un moment où il est plus facile de perdre de l’argent pour un organisateur, cela crée une relation de confiance. » Cette position lui a d’ailleurs permis de contourner l’exclusivité que le Paléo demandait sur les artistes programmés sur la Grande Scène : ils n’avaient pas le droit de signer ailleurs. « Le déclic est venu avec Indochine en 2016. Paléo a refusé que le groupe donne deux concerts en Suisse romande. Live Nation, producteur d’Indochine, a tranché, afin de montrer que l’artiste reste libre de ses choix : ce serait Sion ! » Depuis, les deux festivals travaillent intelligemment, sans se faire la guerre. « Ce ne serait pas dans notre intérêt d’avoir des artistes en commun… » Une preuve supplémentaire que, malgré sa jeunesse, Sion sous les étoiles est devenu un acteur clé de l’été musical dans notre coin de pays !

Sion sous les étoiles

2014 Première édition sur deux jours avec Christophe Maé, Patrick Bruel et Stress.
2015 Le festival sort du stade de Tourbillon et passe sur trois jours.
2016 Indochine préfère jouer en Valais, plutôt qu’à Paléo. Johnny Hallyday, Maître Gims et Francis Cabrel complètent l’affiche.
2017 Le festival passe sur cinq jours. Avec David Guetta, Sting, Michel Sardou et le Jamel Comedy Club.
2020-2021 Annulations à cause de la pandémie de Covid-19.
2022 Sexion d’Assaut, Vianney, Deep Purple et Julien Doré à l’affiche de cette septième édition.
2025 Dixième édition avec The Beach Boys, Judas Priest, Soprano et Santa. 60 000 spectateurs répondent présents !
2014 Première édition sur deux jours avec Christophe Maé, Patrick Bruel et Stress.
2015 Le festival sort du stade de Tourbillon et passe sur trois jours.
2016 Indochine préfère jouer en Valais, plutôt qu’à Paléo. Johnny Hallyday, Maître Gims et Francis Cabrel complètent l’affiche.
2017 Le festival passe sur cinq jours. Avec David Guetta, Sting, Michel Sardou et le Jamel Comedy Club.
2020-2021 Annulations à cause de la pandémie de Covid-19.
2022 Sexion d’Assaut, Vianney, Deep Purple et Julien Doré à l’affiche de cette septième édition.
2025 Dixième édition avec The Beach Boys, Judas Priest, Soprano et Santa. 60 000 spectateurs répondent présents !