Dance reflections « Tous ont trouvé leur voix»

Depuis trois ans, van cleef & arpels organise un festival itinérant dédié à la danse contemporaine. À l’occasion de sa cinquième édition à londres, serge laurent, directeur des programmes danse & culture, explique comment il sélectionne les artistes et les œuvres qui imprègnent sa programmation.

Par JEAN-DANIEL SALLIN

© Alexandra Polina

Il avait un sentiment d’illégitimité à voir son nom associé à ceux de Trisha Brown, Merce Cunningham ou Rachid Ouramdane dans le programme de Dance Reflections. Car François Gremaud ne vient pas du monde de la danse. Homme de théâtre, il avait décidé de revisiter, un jour, trois figures des arts du spectacle. Commençant par la Phèdre de Racine, et avant de s’attaquer à Carmen, il s’est intéressé à Giselle, considéré comme le chef-d’œuvre du ballet romantique. Seule en scène, Samantha van Wissen, élève d’Anne Teresa de Keersmaeker à Bruxelles, interprète tous les rôles de cette pièce, selon le livret de Théophile Gautier publié en 1841. La raison de sa présence à Londres est là. Tout simplement.

« J’ai l’impression d’être un imposteur », sourit pourtant le metteur en scène, sur le rooftop, baigné de soleil, du Broadwick Soho, dans le quartier de West End. « Ils ont certainement estimé que cette pièce était un hommage à la danse… » François Gremaud avoue, néanmoins, avoir regardé une dizaine de versions du ballet avant de se convaincre qu’il supporterait une lecture contemporaine. « La première fois, je me suis réellement demandé ce que je pourrais en faire ! » Finalement, quel est son point commun avec Christian Rizzo ou avec le collectif de La Horde – qui a repris la direction du Ballet National de Marseille en 2019 ?

TROIS VALEURS COMMUNES

« Dans cette discipline, tous ont trouvé leur propre vocabulaire ! » Directeur des programmes Danse & Culture chez Van Cleef & Arpels, Serge Laurent se montre insatiable, lorsqu’il s’agit de danse contemporaine et, surtout, de… création. Son nom s’est imposé de lui-même, lorsque le joaillier parisien a décidé, à l’initiative de Nicolas Bos, désormais directeur général de Richemont, de créer, en 2021, un festival itinérant pour soutenir les artistes et les institutions à travers le monde. Alors responsable de la programmation du Centre Pompidou, le Français saisit très vite les parallèles entre la haute joaillerie, telle qu’elle est cultivée à la place Vendôme, et la danse : la création, la transmission et l’éducation constituent des valeurs communes aux deux univers.

Pour Van Cleef & Arpels, la danse n’est d’ailleurs pas un caprice : la marque a un lien historique avec ce monde. Les premiers clips ballerines font leur apparition dans la collection dès les années 40. Élégantes, vaporeuses, avec leur costume et leur diadème ornés de pierres précieuses, elles deviennent des références pour définir le style poétique et féerique de la maison. Cette passion pour la danse prend une autre dimension, lorsque Claude Arpels croise la route de George Balanchine, co-fondateur du New York City Ballet, en 1961 : le chorégraphe souhaite alors créer un triptyque, dont chacun des trois actes est dédié à une pierre précieuse et à un compositeur différent. Six ans plus tard, Jewels est présenté pour la première fois au New York State Theater.

LE SEUL MOYEN DE CONSERVER UNE ŒUVRE

George Balanchine, on le retrouve, logiquement, dans le programme de Dance Reflections, comme point final du festival, avec trois pièces de son répertoire. Aux yeux de Serge Laurent, c’est une manière idéale de clore ce « voyage dans le monde de la danse », tel qu’il l’a imaginé. « Cette édition fut une expérience extraordinaire en termes de curation », analyse-t-il. « Nous avons démarré avec Trisha Brown et une œuvre des années 80, qui représente l’approche post-moderne de la danse et qui a permis d’ouvrir le vocabulaire chorégraphique, nous avons poursuivi avec des pièces très contemporaines comme le Ballet de Marseille, et nous avons fini par Balanchine… Ainsi, le public était invité à découvrir la danse contemporaine, mais aussi à comprendre d’où elle vient ! »

Qu’il soit à Hong Kong, Kyoto, Londres ou New York, le Français tient à raconter une histoire, lorsqu’il construit son menu des réjouissances. Celle de la danse à travers les années. Celle de ces artistes et de ces institutions qui créent, parfois à contre-courant, pour proposer leur vision. Leur voix. Il cherche surtout à partager son expérience de spectateur avec le public. « La meilleure manière d’approcher l’art contemporain, c’est de l’inscrire dans l’histoire », explique-t-il. « C’est là que la transmission prend tout son sens : c’est le seul moyen de conserver une œuvre, de s’en souvenir ! » Alors, il confronte des jeunes talents, comme La Horde ou Noé Soulier, avec des pièces références, et incite les spectateurs à s’interroger sur ce que représente une œuvre contemporaine en rapport à son époque. « Quand Nijinski présente son Sacre du Printemps à Paris, en 1913, il a provoqué un scandale. Aujourd’hui, c’est considéré comme un chef-d’œuvre, loué dans le monde entier ! »

© Marc Domage

REVENDIQUER SES INFLUENCES

Pour Serge Laurent, les artistes sont d’abord des « chercheurs ». « À l’origine d’une œuvre, il y a toujours des sources d’inspiration. Elles peuvent disparaître dans la forme que l’on propose, mais elles peuvent aussi être revendiquées. Aujourd’hui, les artistes revendiquent davantage ces influences. C’est pourquoi la danse contemporaine – et l’art contemporain, en général – est difficile à qualifier, tant il y a une liberté et une circulation forte des idées et des imaginaires. » Il prend l’exemple de la chorégraphe sud-africaine Robyn Orlin, présente aussi à Londres : formée en arts visuels à Chicago, elle travaille essentiellement avec des danseurs des townships de Johannesburg, sa ville natale, mais se nourrit aussi de cette culture de l’Europe de l’Est, où elle a ses racines. Ces influences se retrouvent forcément dans ses œuvres qui intègrent vidéo et arts plastiques. Dans leur nouvelle pièce, Age of Content, La Horde s’inspire, de son côté, du langage des jeux vidéo et des réseaux sociaux, pour interroger les représentations du corps sur Internet : tout ne va-t-il pas trop vite, finalement ? Quant à Christian Rizzo, il puise dans ses expériences dans le rock, la mode ou les arts plastiques pour créer son répertoire depuis plus de trente ans. Trois univers, autant de langages différents !

« L’art n’est jamais la fin de quelque chose », philosophe Serge Laurent. « J’aime quand une œuvre m’incite à réfléchir sur ce que j’ai vu. C’est là que tout commence ! Lorsqu’on crée un festival, lorsqu’on est responsable d’une programmation, on peut tout montrer, si on sait pourquoi on le fait. » S’il assiste à près de 250 spectacles par année, le Français s’appuie sur son formidable réseau, autour du monde, pour découvrir, rencontrer, soutenir, encourager… « J’ai la chance d’interférer avec 60 partenaires dans seize pays différents (ndlr. dont le Grand Théâtre de Genève et La Bâtie). C’est un vrai bouillon de culture ! »

L’homme – qui a étudié les arts anciens à l’École du Louvre – se dit néanmoins « fasciné par l’écriture contemporaine et par ces artistes qui, forts de toutes ces connaissances et cette histoire, ont su s’émanciper des codes et inventer par eux-mêmes ». Or, la danse a justement cette force-là de pouvoir réunir plusieurs disciplines sur un même plateau. « C’est un art à part entière qui peut exister sans autre artifice que le mouvement », admet-il. « Mais c’est aussi l’art qui peut agréger autour de lui toutes les autres formes artistiques : le texte, la musique, le vêtement… » Un magnifique territoire à explorer, encore et encore !

www.dancereflections-vancleefarpels.com

CHIFFRES CLÉS

1967 George Balanchine présente Jewels au New York State Theater.
2013 Premier volet de la trilogie Gems créée par Benjamin Millepied avec sa compagnie L.A. Dance Project.
2019 Serge Laurent est nommé directeur des programmes Danse & Culture chez Van Cleef & Arpels.
2022 Première édition de Dance Reflections à Londres.
2023 Le festival est organisé à Hong Kong, puis à New York.
2024 Soutien à Rachid Ouramdane (Outsider) et Sidi Larbi Cherkaoui (Ihsane) au Grand Théâtre de Genève.
1967 George Balanchine présente Jewels au New York State Theater.
2013 Premier volet de la trilogie Gems créée par Benjamin Millepied avec sa compagnie L.A. Dance Project.
2019 Serge Laurent est nommé directeur des programmes Danse & Culture chez Van Cleef & Arpels.
2022 Première édition de Dance Reflections à Londres.
2023 Le festival est organisé à Hong Kong, puis à New York.
2024 Soutien à Rachid Ouramdane (Outsider) et Sidi Larbi Cherkaoui (Ihsane) au Grand Théâtre de Genève.

FRANÇOIS GREMAUD L’homme de théâtre suisse a décidé de revisiter trois figures des arts du spectacle : après Phèdre de Racine, il s’est intéressé à Giselle, considéré comme un chef-d’œuvre du ballet romantique.

© Niels Ackermann

CHRISTIAN RIZZOÀ Londres, le chorégraphe français a présenté une pièce, Sakinan Göze Cöp Batar, qu’il a créée en 2012 pour son ami, le danseur turc, Kerem Gelebek. Elle parle d’exil, d’amitié, de territoire…

© Denise Oliver Fierro

© Benjamin Malapris

LA HORDE – Composé de Marine Brutti, Jonathan Debrouwer et Arthur Harel, le collectif  parisien a repris la direction du Ballet national de Marseille en 2019.

© Benjamin Malapris