Reportage

Cirque du soleil : Entrez dans son cabinet de curiosités !

Le cirque canadien a pris ses quartiers sur la plaine de plainpalais, à genève, avec “kurios”, un spectacle inspiré de la révolution industrielle du xixe siècle et de l’esthétisme du steampunk. Immersion dans les coulisses de cette troupe qui rend possible l’impossible !

Par Jean-Daniel SALLIN

© Magalie Girardin

Il a fallu un seul spectacle pour que Michael Drieberg, directeur de Live Music Production, tombe en amour, comme on dit au Québec, avec le Cirque du Soleil. Il s’en souvient comme si c’était hier… Il y a près de trente ans, à Las Vegas, il pousse les portes du Bellagio, sur le Strip, pour assister à « O », mis en scène par Franco Dragone, et suivre les aventures de Philemon, un jeune aventurier sicilien, dont les rêves et les peurs le conduiront dans des eaux de plus en plus sombres et profondes. « Aujourd’hui, ce show continue d’être joué deux fois par jour et affiche toujours complet, c’est assez exceptionnel », précise-t-il.

Michael Drieberg, lui, se laisse embarquer dans cet univers magique, envoûté par cette poésie et cette douce folie que le Cirque du Soleil insuffle dans chacune de ses créations. Une révélation ! « J’aime leur philosophie. À l’époque, il se vantait d’être le premier cirque végétarien, parce qu’il avait totalement renoncé aux animaux dans ses numéros. La qualité des performances est incroyable, tous les costumes sont faits à la main, la musique est jouée en direct, il a même inventé sa langue propre pour être compris dans tous les pays… Mais, le plus incroyable, c’est qu’il arrive toujours à nous surprendre avec des numéros classiques, tels que le trampoline, le jonglage ou le contorsionnisme. » Il a surtout une tendresse particulière pour l’histoire personnelle de son fondateur, Guy Laliberté, ex-jongleur sur les docks, devenu le guide du plus grand cirque du monde.

Le Genevois se met alors en tête de voir tous les spectacles du Cirque du Soleil, à Las Vegas ou en tournée, mais surtout de les amener en Suisse romande. « Cela m’a pris sept ans pour y arriver », souffle-t-il. En 2003, Saltimbanco – l’une des plus anciennes créations de la compagnie canadienne (1992-2012) – s’installe sur la plaine de Plainpalais et attire plus de 100 000 spectateurs. Depuis, le Cirque du Soleil s’est arrêté plus d’une dizaine de fois, à Genève ou à Lausanne, sous chapiteau ou en salle, avec ses mondes imaginaires peuplés d’étranges créatures et de personnages attendrissants : Dralion, Alegria, OVO, Kooza, Luzia… À chaque fois, c’est un triomphe ! « Plus d’un demi-million de personnes ont assisté à ces spectacles », précise l’organisateur.

2,5 MILLIONS DE FRANCS DE RETOMBÉES

Ce sont aussi des retombées économiques substantielles pour la ville, car le Cirque du Soleil est une grosse machine, avec ses exigences techniques et logistiques, et une troupe d’une centaine de personnes, artistes compris, à héberger et à nourrir. « À chaque fois, on laisse, sur la table, une somme de 2,5 millions de francs », souligne Michael Drieberg. « Et, là, je ne compte pas les retombées indirectes qui sont difficilement quantifiables. » La somme est colossale. Presque impalpable. La location de la plaine de Plainpalais pendant plus de deux mois reste un poste important. « On doit engager 200 personnes temporaires pour la sécurité, les infrastructures, la blanchisserie… » Sur place, l’équipe a aussi sa liste de fournisseurs attitrés pour assurer son fonctionnement au quotidien. Boulangers, épicerie, service traiteur, livraison : le commerce local profite largement de cette présence. Le plus gros défi, c’est de loger l’intégralité de la troupe durant près de cinquante jours ! « Ils ne dorment pas dans des caravanes, mais à l’hôtel, et ils ne sont pas cinq par chambre », sourit l’organisateur. Autant dire que l’addition est plutôt salée à la fin du séjour !

LE CASSE-TÊTE DES VISAS

Faire venir le Cirque du Soleil à Genève n’est pas un long fleuve tranquille. Michael Drieberg l’a encore constaté avec KURIOS. Saviez-vous ainsi que le spectacle a failli ne jamais avoir lieu ? Si l’Eurovision avait choisi la Cité de Calvin pour accueillir son concours en mai, à la place de Bâle, la Ville de Genève aurait réquisitionné la plaine de Plainpalais pour y installer sa fan zone, ruinant trois ans d’engagement pour une seule semaine de festivités. « Cela aurait certainement engendré des démarches juridiques », s’étonne le directeur de Live Music Production. En revanche, ce qui est bien réel, ce sont les démarches administratives pour obtenir les visas d’entrée sur le territoire suisse, selon l’origine et le lieu de destination de chaque artiste (il y a une trentaine de nationalités différentes !), ce sont les négociations avec les puciers pour réduire au minimum les nuisances le jour des marchés, ce sont aussi les autorisations à demander auprès des services de l’État concernés…

Trois semaines avant la montée du chapiteau, le Cirque du Soleil a néanmoins pris possession, comme prévu, de son espace réservé sur la plaine de Plainpalais. L’objectif ? Couler un tapis d’asphalte pour garantir la sécurité des artistes et, surtout, planter les 1200 piquets d’ancrage, à 1,5 mètre de profondeur, pour assurer la stabilité de la structure. Ensuite, près de 90 semi-remorques ont envahi l’esplanade de terre battue, sous une pluie battante, pour décharger les 20 000 tonnes de matériel. Lorsque les artistes sont arrivés, les trois tentes, immaculées, dressaient leur appendice vers le ciel genevois, portant fièrement les couleurs canadiennes, québécoise et suisse. The dream is about to begin !

« Le costume, c’est la première chose que découvrent les spectateurs, la première impression qu’ils se font du personnage. »

LE STEAMPUNK, ÇA VIENT D’OÙ ?

KURIOS ne ressemble à aucun autre spectacle du Cirque du Soleil. Oubliez le monde des insectes, le Mexique et les larges étendues de glace ! Le spectateur est invité à découvrir le cabinet de curiosités d’un Chercheur, un brin candide, persuadé qu’il existe un monde invisible où sommeillent les idées les plus folles et les rêves les plus grandioses. On y trouve de drôles de machines, en cuivre ou en acier, des objets insolites, une main mécanique… Créateur de cette production, Michel Laprise – qui a notamment travaillé avec Madonna sur sa tournée MDNA en 2012 – a tiré son inspiration du XIXe siècle et de sa révolution industrielle, ainsi que de l’esthétisme du steampunk.

Ce mouvement culturel, forgé dans les années 80 par des auteurs comme K.W. Keter ou Tim Powers, rend hommage à ces années, un peu folles, qui ont accompagné l’industrialisation de notre société – avec la naissance des télécommunications, l’arrivée de l’électricité dans les foyers et l’urbanisation des villes. Il est également une émanation de la littérature victorienne et de ces écrivains qui ont posé les bases de la science-fiction, tels que Jules Verne et H.G. Wells. Le fameux Nautilus du capitaine Nemo, dans Vingt Mille Lieues sous les mers, ou la Machine à explorer le temps du romancier britannique, n’aurait pas dépareillé sur la scène du Cirque du Soleil…

Dans l’univers du steampunk, on croise, en effet, des savants fous, des outils surréalistes, des machines à vapeur ou des horloges vintage. Mais, on pourrait tout aussi bien tomber sur Sherlock Holmes, Jack l’Éventreur ou Frankenstein, des mythes qui ont contribué à nourrir cette imagerie rétrofuturiste. Même la série TV The Wild Wild West – connue sous nos latitudes sous le nom des Mystères de l’Ouest, avec Robert Conrad – est considérée comme une référence en la matière, combinant des éléments de western et de science-fiction, avec des gadgets technologiques inspirés de Jules Verne, dans un décor de l’Ouest américain du XIXe siècle.

DES ÊTRES CURIEUX ET BIENVEILLANTS

Évidemment, dans KURIOS, il n’y pas de crime ou de monstre sanguinaire ! Dans son voyage vers le merveilleux, notre Chercheur croise des êtres curieux et bienveillants qui insufflent de la magie et de l’humour dans son quotidien. Il y a Nico, l’homme accordéon, un brin timide et maladroit, qui a la capacité de se mettre à la hauteur de tous ; Klara, la télégraphe de l’invisible, qui a le don de capter les ondes en pivotant sur elle-même ; et, évidemment, M. Microcosmos, le capitaine ventripotent de l’équipe, incarnant le mouvement et le progrès technologique. « C’est un personnage silencieux qui ne s’exprime qu’avec le visage et les doigts », précise Mathieu Hubener, qui se glisse chaque soir, depuis huit ans, dans ce costume de près de 10 kilos, équipé de ses propres systèmes d’éclairage et de ventilation. Sa particularité ? Il transporte un petit homme dans son ventre, partout où il va : Cosmolito ou Lili est son inconscient. Sa part de poésie et de fragilité.

Fabriquée à Montréal, dans les ateliers du Cirque du Soleil, la centaine de costumes – sans compter les accessoires (chaussures, perruques, et.) – participe bien sûr du réalisme de ce cabinet de curiosités. « C’est la première chose que découvrent les spectateurs, la première impression qu’ils se font du personnage », admet Gaya Mugnai, costumière. Fruits d’une exploration visuelle des balbutiements de la science et des inventions qui ont mené à la révolution industrielle du XIXe siècle, ils ont le pouvoir de téléporter le public dans cette vérité alternative. Ainsi, les assistants du Chercheur, les Kurios, fabriqués de bric et de broc par leur inventeur, sont des créatures étranges, mi-humaines, mi-mécaniques, que l’explorateur du temps de H.G. Wells aurait pu rencontrer dans le monde de l’an 802 701.

Là aussi, le steampunk a servi d’inspiration ! Chapeaux haut-de-forme, bottes de cuir, lunettes de pilote, longs manteaux, bretelles… Toute la panoplie du héros victorien se bouscule dans la garde-robe, gérée par une équipe de quatre personnes dans la tente artistique. Des costumes ajustés au millimètre près aux mensurations de chaque personnage, afin qu’ils soient les plus confortables possibles. D’ailleurs, à Montréal, si les machines à coudre tournent à plein régime, on compte beaucoup sur la technologie pour scanner la silhouette des artistes, mesurer leur morphologie, imprimer des éléments de certains costumes en 3D pour alléger leur poids au maximum… À croire que ce cabinet de curiosités, qui fait briller le regard du public à chaque représentation et l’emporte dans un monde de fantaisie et d’aventure, n’est autre qu’une allégorie de l’esprit innovant et créatif du Cirque du Soleil. « KURIOS est un spectacle qui célèbre l’imagination », explique Michel Laprise. « Nous voulons que les spectateurs quittent le chapiteau avec le sentiment que tout est possible ! » Et, avec le Cirque du Soleil, rien n’est impossible…

KURIOS – Cabinet de curiosités, du Cirque du Soleil,
jusqu’au 29 juin sur la plaine de Plainpalais.
Informations et billetterie sur www.cirquedusoleil.com.

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ACRONET

L’ART DE REBONDIR SUR UN FILET !

Cela fait déjà quinze ans qu’il travaille pour le Cirque du Soleil. Mathieu Hubener a d’abord rejoint la troupe de Saltimbanco, avant d’être embarqué dans la création de KURIOS dès 2013. Avec son passé de gymnaste, le Français était tout désigné pour participer à l’élaboration d’un nouveau numéro – qui reste, à ce jour, une exclusivité de la compagnie québécoise : l’Acronet. Le concept ? Vous tirez un filet de sécurité – le même qu’on utilise pour les trapézistes ! – entre les quatre mâts du chapiteau et vous demandez à sept acrobates d’y rebondir pour réaliser des figures spectaculaires. Il fallait juste trouver un moyen, simple, de rebondir, parfois jusqu’à 14 mètres du sol, sans artifice…

« C’est un vrai travail d’équipe », explique Mathieu Hubener. « Nous devons être synchronisés entre nous, juste avant le rebond, pour ajuster la tension du filet et moduler l’amplitude des bonds selon la figure à effectuer. » Le Français – qui a six ans de compétition de trampoline derrière lui – a beaucoup aimé ces trois mois passés à Montréal pour concevoir ce numéro. « Nous pouvons amener nos idées, nous sommes vraiment partie prenante de la création », s’enthousiasme-t-il. Aujourd’hui, expérience oblige, il est devenu le coach des neuf acrobates – de six nationalités différentes ! – qui composent son équipe. C’est lui aussi qui doit intégrer les nouveaux dans le numéro…

« Cela prend du temps », admet-il. « Nous avons accueilli un nouveau membre à Vienne (ndlr. en mars). Actuellement, il n’est intégré qu’à 40 % dans le numéro. Il est champion du monde de trampoline par équipe : les figures, il les maîtrise ! C’est tout ce qui se passe sur le filet qui est plus compliqué à assimiler… » À 38 ans, Mathieu Hubener sait, en revanche, que ses années d’acrobate sont comptées. « Pour l’instant, malgré la différence d’âges avec mes collègues, je me sens encore en pleine forme », sourit-il. Il y a huit ans, en 2017, il a ajouté une corde à son arc, en interprétant le rôle de M. Microcosmos. « Cela signifie qu’on me fait confiance et que je peux évoluer dans le jeu de scène », plaide-t-il. C’est aussi une façon de préparer l’avenir et de poursuivre son aventure avec le Cirque du Soleil.

Chiffres cléfs

50 Le nombre d’artistes présents dans le spectacle. Ils représentent 21 nationalités différentes.
8000 Le nombre de costumes et d’accessoires.
2500 Le nombre de places disponibles sous le chapiteau.
400 Le nombre de repas servis chaque jour pour toute l’équipe.
51 En mètres, le diamètre du chapiteau. Sa hauteur est de 19 mètres.
340 En kilos, le poids de la main mécanique qui apparaît à trois reprises dans le spectacle.
250 Le nombre d’heures qu’il a fallu pour conceptualiser et construire le ventre rond de M. Microcosmos.
7 Le nombre de musiciens qui composent l’orchestre de KURIOS.
2 En heures, le temps que certains artistes mettent pour appliquer leur maquillage avant le show.
50 Le nombre d’artistes présents dans le spectacle. Ils représentent 21 nationalités différentes.
8000 Le nombre de costumes et d’accessoires.
2500 Le nombre de places disponibles sous le chapiteau.
400 Le nombre de repas servis chaque jour pour toute l’équipe.
51 En mètres, le diamètre du chapiteau. Sa hauteur est de 19 mètres.
340 En kilos, le poids de la main mécanique qui apparaît à trois reprises dans le spectacle.
250 Le nombre d’heures qu’il a fallu pour conceptualiser et construire le ventre rond de M. Microcosmos.
7 Le nombre de musiciens qui composent l’orchestre de KURIOS.
2 En heures, le temps que certains artistes mettent pour appliquer leur maquillage avant le show.