A table

CAPOCACCIA: À vélo, en moto ou en camping-car ?

Si la cuisine de Michele Marrone nous a amenés jusqu’en Italie, Denis Maillefer, The Woodgies et Marc Ristori ont profité de ce déjeuner pour partager leurs souvenirs.

Denis Maillefer, The Woodgers et Marc Ristori au Capocaccia

Denis Maillefer, The Woodgers et Marc Ristori
Denis Maillefer, Marc Ristori, Meghan et Hannah-Leah Woodger ont découvert le décor cossu et la cuisine raffinée du Capocaccia, à Genève.

PAR JEAN-DANIEL SALLIN

PHOTOS MAGALI GIRARDIN

Il a un peu la gueule de bois. La veille de notre déjeuner, Denis Maillefer est monté jusqu’aux Marécottes à vélo afin d’assister à l’arrivée du Tour de Romandie. « Comme je commence à connaître un peu de monde, j’avais un accès à l’espace VIP. Il y avait des petites choses à grignoter, du super pinard… » Le reste appartient à l’histoire. D’ailleurs, elle ne dit pas comment l’homme de théâtre est redescendu en plaine. Casque sur la tête, il est en tout cas arrivé devant le Capocaccia, rue de la Rôtisserie, entier et en avance. Pressé de goûter à la cuisine du chef, Michele Marrone ? Ou de rencontrer les autres invités ? Il ne refusera pas un verre de Dolcetto d’Alba, avec son coquelet à la plancha, tout en menant la conversation avec bonhommie.

Codirecteur de la Comédie de Genève jusqu’en juillet dernier, le Vaudois profite de son indépendance retrouvée. Pendant ces six ans, il a aimé voir quatre spectacles par semaine, « en pensant aux deux qu’il avait ratés » ; voyager aux quatre coins de l’Europe, en avion, puis en train ; passer l’été à Avignon, dans cette maison d’hôtes à 100 m de la place des Carmes, pour s’immerger dans la Mecque du théâtre ; profiter de ce réseau incroyable « qui vient à toi spontanément dès que tu es nommé ». Tout cela s’est arrêté, abruptement, mais sans regrets. « J’ai plein de projets différents, et puis, si je n’avais pas eu cette liberté, je n’aurais pas pu aller boire des verres au Tour de Romandie. » On y revient…

Carton sur les réseaux sociaux

Est-il plutôt rouleur ou grimpeur ? À l’aise sur les lacets du Valais, il n’aime pas quand ça monte trop. Mais, une fois descendu de selle, Denis Maillefer se révèle plus polyvalent. Passionné de sport, on l’avait deviné, il le pratique autant qu’il le regarde. « Hélas ! », ajoute-t-il. « On pourrait faire tant d’autres choses, sans rester dans son canapé… » Il y a dix ans, il avait même écrit une ode à Roger Federer – un spectacle qu’il a réadapté récemment. Mais l’homme aime aussi la musique. À tel point qu’il vient de réaliser l’un de ses fantasmes : mettre en scène le dernier spectacle de Dominique A, avec l’Orchestre de Chambre de Genève. Alors, quand il découvre ses voisins de table, il ne boude pas son plaisir. À sa gauche, Marc Ristori, gladiateur chevronné dans les arènes de Supercross, qu’une chute, en 2007 à Palexpo, a rendu paraplégique. En face, deux sœurs, Meghan et Hannah-Leah Woodger, alias The Woodgies depuis 2018, qui cartonnent sur les réseaux sociaux, avec leurs reprises, interprétées a capella dans l’église de Veyrier : leur version de Dreams des Cranberries a atteint plus de 10 millions de vues sur Instagram. « Notre ancien label nous avait reproché de ne pas avoir assez de followers », sourient-elles. «Ils sont désormais 134 000 à nous suivre au quotidien. »

« Notre ancien label nous a reproché de ne pas avoir assez de followers. Ils sont 134 000 à nous suivre ! »

Autour des assiettes de raviolis, al dente forcément, la curiosité prend le dessus. Une question en amène une autre, on se trouve des points communs, parfois, là où on ne s’y attendait pas. Meghan et Hannah-Leah sont irlandaises et essaient de retourner au pays au moins une fois par an. « J’ai couru un Supercross à Belfast, ça reste un super souvenir », se rappelle alors Marc. « Mais je m’étais fait arnaquer par l’organisateur. Il m’avait payé en livres irlandaises, en venant frapper à la porte de ma chambre à 3 heures du mat’. Je ne savais pas que la livre irlandaise n’avait pas le même cours que l’anglaise… » Père d’une fille de 2 ans, le Genevois prend un bonheur certain à partager ses souvenirs d’as du motocross. Comme ces trajets en camping-car à travers l’Europe, parfois jusqu’en République tchèque, pour participer à une course. « On essayait de réduire les coûts au maximum. En général, on conduisait soi-même et on dormait dedans pour éviter de payer la nuit d’hôtel. »

Meghan et Hannah-Leah Woodger: formant le duo de chant folk The Woodgies

Meghan et Hannah-Leah Woodger

Denis Maillefer et Marc Ristori

Denis Maillefer et Marc Ristori

Denis Maillefer, réalisateur de In Love with Federer

Denis Maillefer, réalisateur de In Love with Federer
Passionné de sport et de musique, Denis Maillefer était tout heureux de partager cette table avec The Woodgies et Marc Ristori.

Une envie de transmettre

Les deux sœurs se bidonnent. En 2023, elles ont profité d’une tournée en Allemagne pour voyager en van. « Nous étions juste les deux, nous avions une dizaine de dates », raconte Meghan. « Comme je suis plutôt mal organisée, il n’y avait aucune logique dans l’itinéraire et l’ordre des villes visitées, nous avons donc fait pas mal de kilomètres. » Entre la pluie, omniprésente dans le nord du pays, et les conditions de scène parfois déroutantes, ce périple restera une expérience initiatrice, certes, mais inoubliable. Les assiettes sont vides. La carte des desserts nous fait de l’œil. Tiramisu ou bocconcini ? Les cœurs balancent. La conversation, elle, se poursuit. Un autre fil semble réunir les quatre invités : ils sont tous profs dans leur domaine. Meghan et Hannah-Leah donnent des cours de piano, d’anglais et de… natation. « Après nos études, nous avons décidé de nous focaliser sur notre projet de musique », explique l’aînée. « Mais, pour l’instant, nous ne gagnons pas notre vie avec. Il faut donc trouver d’autres sources de revenus. » Denis Maillefer, lui, enseigne à La Manufacture, à Lausanne, et dans une école à Martigny. « Cette année, j’ai onze étudiantes », fait-il remarquer. « En théâtre, il n’y a pas beaucoup de pièces où l’on ne trouve que des femmes. Chez Shakespeare, elles sont quasiment inexistantes. On en trouve plus chez Molière… Cependant, je ne demande jamais à mes étudiantes de jouer des hommes, je féminise les rôles. »

« Les enfants commencent le motocross de plus en plus tôt. Certains ont à peine quatre ans… »

Après son accident, Marc Ristori a aussi ressenti l’envie de transmettre. S’il a créé sa propre ligne de streetwear, RForce8, pour soutenir des sportifs tels que Mat Rebeaud, Arnaud Tonus ou Justin Murisier, il partage désormais son expérience avec des jeunes pilotes dans son club des Meyrinos, là où tout avait aussi commencé pour lui. « Les enfants commencent le motocross de plus en plus tôt. Certains ont à peine quatre ans. J’avoue que je ne les accepte pas à cet âge-là. S’ils n’arrivent pas à allumer la moto tout seuls, je ne peux pas les aider. Moi, je ne les prends qu’à partir de sept ans… » Le Genevois s’offusque en revanche lorsque certains prophétisent l’avenir de sa fille sur une moto. Est-ce si évident que la petite suive les traces de son père et de son grand-père, Louis ? Marc n’en est pas aussi convaincu. Il la laissera choisir sa voie. Sans forcer le destin. « Parfois, autour du circuit, les parents sont plus compliqués à gérer que leurs enfants », ajoute-t-il. « On observe une redbullisation du monde », philosophe Denis Maillefer. Pratiquer les sports extrêmes ou urbains est en effet devenu à la mode. Mais, à l’instar du street-art que l’on cherche à embourgeoiser dans les galeries, les instances sportives s’approprient leurs codes pour attirer un public plus jeune : après le skateboard à Tokyo, en 2020, et le Big Air en 2022, à Pékin, c’est le tour du breakdance de faire son entrée dans le concert olympique, cet été à Paris. « Mon fils est graffeur », explique le metteur en scène. « Les Jeux, avec toutes ces histoires de maillots, ne l’intéressent pas. Ce n’est pas dans la philosophie de ces disciplines. » N’est-ce pas le propre de notre époque de tout mélanger et de faire tomber les barrières ? Le rap et l’électro ont désormais droit de cité à Paléo, autrefois temple de la folk, et il y a moins de jazz à Montreux. Le 15 juillet, The Woodgies ont rendez-vous au bord du lac, sur la Super Bock Stage, pour un concert gratuit. Mais elles rêvent de revenir aux sources, du côté de l’Asse…

On fait les présentations…

Denis Maillefer

Denis Maillefer

DENIS MAILLEFER

Pendant six ans (2017-2023), le Vaudois a été le codirecteur de la Comédie de Genève, avec Natacha Koutchoumov. Assistant de Patrice Chéreau à Paris, il a fondé le Théâtre en Flammes avec Massimo Furlan. Metteur en scène, pédagogue, il a une quarantaine de pièces de théâtre et d’opéras à son actif. Passionné de sport, on lui doit notamment In Love with Federer en 2013.

The Woodgies: duo composé des soeurs Meghan et Hannah-Leah Woodger.

The Woodgies: duo composé des soeurs Meghan et Hannah-Leah Woodger

THE WOODGIES

Hannah-Leah et Meghan Woodger ont créé leur duo, The Woodgies, en 2018. Depuis, les deux sœurs, irlandaises d’origine, envoûtent la scène – et les réseaux sociaux – avec leurs voix pures et leurs chansons folk. Après un premier album, Holding Hands, en 2021, elles annoncent la sortie d’un deuxième disque cet automne : Life Goes On. Mais elles n’ont pas encore trouvé de label. Avis aux amateurs !

Marc Ristori. triple champion de Suisse de motocross

Marc Ristori. triple champion de Suisse de motocross

MARC RISTORI

Comme son père, Louis, le Genevois appartient à l’histoire du motocross. Triple champion de Suisse, il est le premier pilote helvétique à avoir participé à un Supercross : en 1998, à Phœnix. Devenu papraplégique à la suite d’un accident, en 2007 à Genève, il a créé sa marque de streetwear, RForce8, et s’occupe du marketing digital à l’Office cantonal de la culture et du sport à l’État de Genève.