Marc-Olivier Wahler œuvre d’art et schizophénie
Le plus philosophe des curateurs nous reçoit dans un musée d’art et d’histoire redynamisé. Quatre ans après son arrivée à sa tête, il fédère équipe, artistes et public autour de son musée en métamorphose.
Il a l’allure juvénile des passionnés, la minceur des hyperactifs, le feu des extravagants. Il nous accueille dans son bureau, parmi ses œuvres fétiches et ses livres. On lui a demandé de sélectionner six objets, il en a retenu un, « attendez, peut-être deux », on n’a pas le temps de s’inquiéter qu’il en dégote soudain une dizaine, et on s’inquiète à l’inverse. Il a une histoire à raconter sur chaque objet qui peuple son espace de travail, et chacun des artistes qui en est à l’origine. « Ce qui nous intéresse, c’est cette tension entre l’objet ordinaire et l’œuvre d’art. On retient de Marcel Duchamp qu’un objet sorti de son contexte devient une œuvre, mais il a ensuite passé sa vie à tenter une marche arrière, se demandant si on pouvait faire des œuvres qui ne soient pas d’art. Un artiste n’est pas intéressé à faire une œuvre qui soit une sorte de point fixe dans le temps et l’espace, il s’intéresse à cette tension entre un objet physique et une représentation mentale. Une bonne œuvre d’art est celle qui a un quotient schizophrénique très élevé. Plus l’œuvre d’art supporte des interprétations, plus elle gagne en densité et en efficacité. »
Son premier lien à l’art contemporain, c’est la philosophie, étudiée à Neuchâtel, et notamment l’Américain Arthur Danto qui se demandait ce qu’il adviendrait si six artistes différents réalisaient six œuvres identiques, en l’occurrence six monochromes rouges. Aurait-on des tableaux différents ou une seule et même œuvre ? Et Marc-Olivier de tester, en réalisant sa première exposition, inventant les noms d’artistes, les titres et les interprétations différentes des monochromes. « Je me suis rendu compte en montant l’exposition que ce qui me plaisait vraiment, c’était le rapport à l’espace, le discours autour de ce que je présentais. » Le côté curateur l’emporte sur celui de créateur, même si, en l’occurrence, les frontières se troublent. Il se passionne pour le système de croyances essentiel à la société, et sans lequel un billet de banque, par exemple, resterait un bout de papier. C’est cette magie-là qui est à l’œuvre, dans l’art. À l’origine, il n’y a que quelques pigments sur une toile, mais « notre culture les fait disparaître immédiatement pour les faire réapparaître en objets esthétiques ».
Depuis janvier, il offre la quatrième carte blanche du MAH à l’artiste belge Wim Delvoye. « Tout artiste n’est pas un bon curateur, mais ceux que j’invite d’année en année à créer autour de la collection permanente du musée ont un rapport aux autres œuvres très précis. Wim a également un côté collectionneur obsessionnel qui est fréquent chez les artistes. » Il fait notamment référence à sa collection de boîtes de « Vache qui rit » exposée dans une salle du MAH, « pour montrer comment une icône devient visible, prenant soudain une ampleur incroyable ». Ça nous parle moyennement, qu’importe, Marc-Olivier monte sur son skate pour franchir avec nous les couloirs, il a beaucoup à nous montrer dans ce musée si vivant, et alors que Genève peut à nouveau rêver à l’agrandissement prochain du MAH, avec un concours d’architecture ouvert à tous, d’ici cet été.
L’ordre des choses – Carte blanche à Wim Delvoye,
au Musée d’art et d’histoire jusqu’au 16 juin 2024.