Ludivine Ribeiro « Petite, je voulais devenir sainte »
L’écrivaine indo-suisse sort son deuxième roman, Ma mère en toutes choses. après avoir nourri son imaginaire en inde et au liban, elle est revenue à genève, est devenue journaliste, puis autrice. rencontre dans une maison secrète en bordure d’une forêt.
Lorsque je la rencontre, je m’attends à la petite fille plutôt qu’à la femme, que l’on aurait envie de prendre entre ses bras pour la consoler de son deuil. C’est parce que j’arrive avec, dans le cœur, les mots de son dernier roman, Ma mère en toutes choses. Ces choses quotidiennes qui rappellent à l’auteure sa chère disparue, un fouet orange, des recettes de cuisine, reproduites à l’identique, des robes confectionnées par la mère pour l’enfant, puis l’adulte, malgré l’arthrose qui, les dernières années, ankylosait ses doigts. Sa mère en tous lieux aussi, l’Italie, et Venise, surtout, où elles se rendaient à chaque fois qu’elles le pouvaient. Sa mère dans sa chair encore, quelques kilos en plus, comme pour être entourée par celle qui n’est plus là. Et sa mère au ciel. Ses messages que Ludivine Ribeiro sait percevoir. « Nous avions un attachement très fort, particulier. J’ai perdu un frère et une sœur ; ma mère, deux enfants. À la suite de ces deuils, nous nous sommes imbriquées l’une dans l’autre, pour nous soutenir mutuellement, il fallait absolument que nous restions vivantes l’une pour l’autre. » Ludivine Ribeiro, trop consciente que donner la vie, c’est donner la mort, a choisi de ne pas avoir d’enfants.
Elle me reçoit en femme, enracinée, heureuse de sa prochaine aventure livresque, et de tout ce qu’il y a de romanesque dans sa vie. Elle se raconte sous la pergola qu’elle a dessinée et fait construire pour offrir un toit à sa terrasse. Autour, tout est beau, le jardin, le seringat sur lequel s’appuie une sculpture de sirène devenue dryade, la terrasse que le toit rend plus chaleureuse, la maison et ses multiples petites pièces. C’est élégant, baroque, sobre, mais habité. Des murs peints en vert de Vérone ou tilleul, des tissus indiens, des fauteuils vintages et de la vaisselle ancienne, ou encore des Ganesh fréquentant des madones dans une surprenante harmonie. Les objets disent leur propriétaire, autant que les mots choisis dans son dernier roman disent sa mère. « Je me sens un peu de nulle part», confie-t-elle alors que je la trouve un peu de partout. «En Inde, on ne me considère pas comme Indienne, en Suisse, pas comme Suissesse, en Allemagne, encore moins.» Et au Liban, où elle a vécu avec son père diplomate et sa famille ? « Pas vraiment comme une Libanaise non plus. Il n’y a qu’en Italie qu’on me prend pour une Italienne ». Comme quoi, les patries de cœur valent bien celles de sang.
Son raffinement dénué de snobisme, Ludivine Ribeiro le tient de ses parents et grands-parents, avec l’amour des plantes et de la cuisine côté grand-mère allemande, et de la musique côté grand-père indien. Ses années à travailler dans les rubriques culturelles ou à diriger des magazines de mode ne sont pas non plus étrangères à l’attention qu’elle prête aux choses. Elle les anime de sa plume d’écrivaine, pendant que la fée en elle les doterait bien d’une âme.