TélévisionA table

Elles portent l’Afrique dans leur cœur de femmes

Elles sont à la fois mannequin, animatrice TV, chanteuse, écrivaine ou entrepreneuse. Lors de ce déjeuner au royal Manotel, Julie Ordon, Licia Chery et Mélanie Chappuis se sont surtout découvert un point commun: leurs liens avec le continent africain.

Elles sont tombées dans les bras l’une de l’autre. Comme de vieilles amies. Mais Mélanie Chappuis et Licia Chery ne s’étaient rencontrées qu’une seule fois. Devant les caméras de la RTS. «J’avais été invitée à participer au jeu C’est Ma Question pour les fêtes de Noël, raconte Mélanie. Et je ne savais pas que les girafes avaient la langue bleue, c’est ce qui m’avait fait perdre… La honte!» Licia part d’un grand éclat de rire: elle ne se souvient pas de cette question, mais elle avait apprécié la personnalité de l’écrivaine. Elle, présente cette émission depuis 2020, devenant dans la foulée «la première animatrice noire à la TV romande». Rien que de l’écrire, cela paraît totalement inconcevable. Au cours de ce déjeuner, il sera d’ailleurs souvent question d’intégration, de diversité, de tolérance…

Le rendez-vous a été fixé au Royal Manotel, à la rue de Lausanne. Là où Armel Bedouet, drapeau breton floqué sur la manche de son uniforme, enchante les papilles depuis 2016. Une étoile au Michelin, 17/20 au Gault&Millau, son restaurant, L’Aparté, avec ses 17 places à disposition, est pris d’assaut jusqu’à la fin de l’année, me dit-on. Nous nous installons donc au Bistro, à cette table ronde proche de la fenêtre, qui invite aux confidences. Au menu: carpaccio de saumon avec ses betteraves Chiogga rose et jaune , zestes de citron vert et orange; pavé de cerf sauce poivrade, fondue de chous et pommes grenailles; entremet ananas et citron vert. En attendant Julie Ordon, la conversation se poursuit entre Licia et Mélanie. Elles partagent leurs expériences de maman. Évoquent ces expressions candides dont les enfants sont les rois. «Moi, je les note toutes, pour pouvoir m’en souvenir», s’exclame Mélanie. «Mon fils de trois ans et demi parle le français et l’allemand, il lui arrive de commencer une phrase dans une langue et de la terminer dans l’autre», rigole Licia.

Licia Chery, Mélanie Chappuis et Julie Ordon ont fait plus ample connaissance au Bistro du Royal Manotel. Photo : Elo Durand

Notre troisième invitée montre enfin le bout de son joli nez, alors que l’entrée vient d’être servie. Julie Ordon a visiblement passé une matinée compliquée au laboratoire. Avant l’été, elle a en effet lancé sa marque de gourmandises, Bretzel & Gretel, des biscuits salés, enrobés de chocolat, puis garnis de noix de coco, de fleur de sel des Alpes ou de noisettes. Si ses bretzels sont produits en Alsace, chez le maître en la matière, Boehli, la Genevoise a mis du temps avant de dénicher le chocolatier idéal pour réaliser l’enrobage. Son choix s’est finalement porté sur Stettler. Et là, elle se retrouve en pleine production pour les fêtes. Les entreprises de la région ont passé de nombreuses commandes. Julie se plaît alors à raconter par le détail ses premiers mois dans la peau d’une entrepreneuse. Ne cachant rien de ses erreurs et de ses mauvaises surprises. «J’apprends tous les jours, mais ce que j’aime surtout dans cette aventure, c’est que je ne dépends de personne, je suis ma propre cheffe.» Elle apprécie tellement ce rôle qu’elle n’a plus guère de temps à consacrer aux castings qu’on lui propose de passer. «J’adore manger, et, chez moi, j’aime concocter des petits plats pour mes amis», ajoute le mannequin – qui vient de s’essayer dans la préparation de kimchi maison, ce plat traditionnel coréen à base de choux. Licia, aussi, voue une passion pour la gastronomie. Mais le Covid a quelque peu compliqué son quotidien de gourmande: la jeune femme a perdu l’odorat depuis un an. «Je suis fan de chocolat et je suis frustrée à chaque fois que j’en mange un carré: je n’ai plus ce même plaisir en bouche.» Mais les odeurs servent aussi à fabriquer nos souvenirs, à les imprimer profondément dans notre subconscient. À l’instar de Marcel Proust et de ses madeleines. «Je suis quelqu’un de nostalgique, il suffit que je sente une odeur pour que mon esprit vagabonde», souffle Julie. «À chaque fois que je retourne en Afrique, il suffit d’une odeur pour que ça me ramène à mon enfance», ajoute Mélanie.

«Ce que j’aime dans cette aventure, c’est que je ne dépends de personne, je suis ma propre chef.»

Lettre à mon ancêtre

L’Afrique. Le mot se glisse dans la conversation. Il ne la quitte plus jusqu’au dessert. Les trois femmes nourrissent en effet un lien fort avec ce continent. Fille de diplomate, Mélanie a grandi à l’étranger. L’Argentine, les États-Unis, mais surtout la Côte d’Ivoire. Des années qui ont forcément forgé la femme et l’écrivaine qu’elle est devenue. Pour Licia, Haïtienne d’origine, l’Afrique, c’est la terre de ses ancêtres, celle qu’elle décrit dans le roman à la fois historique et sociologique qu’elle vient de sortir aux Éditions Favre: Noir en couleurs. En pleine pandémie, elle a en effet décidé d’écrire une lettre à cette aïeule, Achala, née au XVIe siècle, pour lui relater, sur la base de faits réels, l’histoire des premières victimes de la traite d’êtres humains et de leurs descendants.  «J’ai fait beaucoup de recherches avant de rédiger ce livre», souffle-t-elle. «Ainsi, on m’avait toujours laissé entendre que j’étais originaire du Bénin, j’ai alors commandé une analyse ADN. En consultant les résultats, j’ai appris qu’en fait, j’étais à 70% nigériane. Ce fut un grand choc pour moi.» Au fil des pages, Licia raconte les navires négriers, les Africains esclavisés entassés en fond de cale, les travaux forcés à l’autre bout du monde, les révoltes, souvent réprimées, dans les champs, cette idée fausse, inculquée aux enfants, qu’ils ne sont bons à rien…

Autour de la table, la conversation est franche et passionnée. Il est question de biscuits, d’odorat, de livres, d’expressions enfantines et d’esclavagisme… Photo : Elo Durand
Photo : Elo Durand

Adopter une petite Sénégalaise

Face à elle, Mélanie et Julie écoutent attentivement. Pour le mannequin, l’Afrique constitue un havre de paix . Le père de sa fille, Mathilda, est souvent au Sénégal pour le travail. Du coup, Julie s’y rend fréquemment. Pour se ressourcer. C’est là qu’elle rencontra Anta Mbow, présidente de l’Empire des Enfants, une association qui recueille des enfants entre 3 et 18 ans, vivant en situation de vulnérabilité dans la rue. «Ils viennent souvent de la Guinée-Bissao, juste à côté, et sont amenés au Sénégal par des charlatans qui les utilisent ensuite pour faire la manche, une activité qui leur rapporte beaucoup d’argent», précise-t-elle. La Genevoise passe du temps dans ce centre d’accueil. Et, dans son envie d’agrandir sa famille, elle envisage sérieusement d’adopter une petite Sénégalaise.

«Si tu adoptes cette fillette, laisse-lui la liberté d’être Noire et d’être fière de ses origines!»

«Si tu le fais, laisse-lui la liberté d’être Noire et d’être fière de ses origines!», lui conseille spontanément Licia.  Avant de citer l’exemple de cette star du football américain, Colin Kaepernick, connu pour s’être agenouillé pendant l’hymne national afin de protester contre les violences policières envers les minorités. «Il est métis et, dans un documentaire, il explique qu’il ne connaissait pas la culture afro jusqu’à ce qu’il la découvre par lui-même.» Sans aucune acrimonie, elle finit par raconter ces «claques» qu’elle a dû digérer tout au long de son parcours de vie. Ce garçon, à l’âge de 6 ans, qui refusait qu’elle le touche, «parce que tu es sale». Ou cette société, en quête d’hôtesses pour le Salon de l’auto, qui n’a pas souhaité l’engager, car elle avait déjà «une personne noire» dans son équipe. «On n’apprend toujours pas aux jeunes apprentis à coiffer des cheveux crépus», s’étonne-t-elle encore. Lorsque le dessert arrive, la conversation se fait plus légère. Mais tous ces mots trottinent encore dans la tête. Comme une ritournelle qui prône un urgent besoin de tolérance. 

On fait les presentations…

Photo : Elo Durand

JULIE ORDON

Mannequin, comédienne, artiste, créatrice de bijoux… Julie Ordon est une touche-à-tout. De la campagne de pub pour Le Rouge de Chanel à son rôle de flic dans la série No Limit, elle a marqué les esprits. Elle a lancé sa marque de biscuits gourmands, Bretzel & Gretel, que l’on retrouve dans les magasins Bon Génie, à Genève et Lausanne, ainsi qu’à l’hôtel Alpina à Gstaad.

Photo : Elo Durand

MELANIE CHAPPUIS

Après avoir présenté son septième roman, Suzanne, désespérément, avant l’été, l’écrivaine vient de passer six semaines en résidence à la Villa Bernasconi, à Lancy, sous l’égide de La Grande Ourse. Elle s’apprête à jouer sa nouvelle création, Dépendances, dans le cadre des Spectacles onésiens (21-22 janvier). Avec Alizé Oswald, Guillaume Pidancet et Michaël Borcard.

Photo : Elo Durand

LICIA CHERY

En 2009, cette chanteuse à la voix d’or fut la première artiste suisse à récolter 100 000 euros sur le site français My Major Company pour financer son premier album. Aujourd’hui, si elle vient de reprendre son spectacle dédié à Edith Piaf à Zurich, Licia Chery présente l’émission C’est Ma Question sur la RTS et vient de publier un livre, Noir en couleurs, aux Éditions Favre.