Pierre Niney « Il faut avoir tellement de talent pour réaliser… »

Le lundi 22 mai, le Festival de Cannes vient d’entrer dans sa deuxième moitié. La veille, Le Livre des solutions de Michel Gondry a été présenté, dans le cadre de la Quinzaine des Réalisateurs. Dans cette comédie aussi délirante que jouissive, Pierre Niney incarne Marc, un réalisateur qui s’enfuit avec son équipe dans un petit village des Cévennes pour finir son film tranquillement, chez sa tante Denise (Françoise Lebrun). Sur place, s’installe un joyeux chaos entre créativité surprenante, idées saugrenues et situations de crise. Avec ce rôle autobiographique, l’acteur de 34 ans incarne en réalité l’alter ego de Michel Gondry.

Ce matin-là, Pierre Niney débarque sur la plage de la Quinzaine portant un ensemble Gucci bleu, constitué d’un short et d’une chemise à manches courtes en soie, lunettes de soleil vissées sur le nez. « J’adore, c’est hyper confortable ! », lance-t-il alors que nous le complimentons sur son look. Et d’ajouter : « J’ai peu dormi, mais je suis très content d’être là. On y va, je suis prêt ! »

Génie dans la tourmente

« Le Livre des solutions met en lumière ce que peut être la tempête sous le crâne d’un génie – car Michel est un génie – quand tout prend l’eau et quand la maladie mentale s’invite », commence-t-il à expliquer. « Je trouve très intéressant de mélanger un sujet aussi sérieux avec autant de poésie et d’humour, car ça parle quand même d’un mec qui allait très mal à ce moment-là de sa vie. »

Le réalisateur et l’acteur se sont rencontrés il y a onze ans. Pierre Niney était nommé aux César dans la catégorie Meilleur espoir masculin pour son premier rôle principal au cinéma, dans J’aime regarder les filles. À cette occasion, il avait demandé à Michel Gondry d’être son parrain. « On a gardé contact, on s’écrivait des messages de temps en temps, mais je n’aurais jamais imaginé qu’il me proposerait de jouer son propre rôle dans son film. C’est une grande consécration », souffle-t-il. Metteur en scène et acteur ont travaillé en binôme pour dresser les contours de Marc, personnage à mi-chemin entre eux deux.

Dans Le Livre des solutions, Michel Gondry rend compte des difficultés autour de la création d’un film. « Il faut avoir tellement de talent pour réaliser », estime Pierre Niney. « Faire un bon film, c’est plus dur que de créer un beau tableau ou une belle chanson. Il faut réunir tellement de compétences différentes, c’est vertigineux. » Ainsi, il décrit son mentor comme un « artisan de l’imaginaire » : « Il travaille à l’ancienne, il sait faire plein de choses de ses mains, c’est le meilleur artisan de France. Il entretient aussi un lien très fort avec l’enfance. C’est un super directeur, très surprenant. Parfois, il m’envoyait courir autour de la maison ou chanter une chanson avant de retourner une scène. Il se passait des choses hors-champ très créatives. » Le comédien dit avoir adoré cette expérience et cet immense espace de liberté, de jeu et de recherche. « Je ne sais pas ce qu’il y a dans la vie de Michel qui puisse nourrir un n° 2, mais j’ai envie de faire la suite ! »

Un humour joyeux et décalé

Fils d’un professeur de cinéma, encouragé par ses parents, Pierre Niney s’intéresse très tôt au métier d’acteur. Polyvalent, il s’illustre au théâtre, dans les thrillers (Un homme idéal, Boîte noire, Amants, Goliath), les drames (Frantz, Sauver ou périr) et l’animation : il est Peur dans Vice-Versa, Fourchette dans Toys Story 4 ou M. Loup dans Les Bad Guys (« Le dessin animé préféré de mes filles ! »). On le voit même dans le célèbre clip de la chanteuse Angèle, Balance ton quoi. Côté biopics, il a joué Philippe Cousteau, le fils de l’explorateur Jacques-Yves Cousteau, dans L’Odyssée. Et, évidemment, son rôle dans Yves Saint Laurent – qui lui a permis de glaner le César du meilleur acteur en 2015 – reste l’un des plus importants de sa carrière.

Malgré cette liste de films déjà conséquente, sa carrière est surtout marquée par la comédie : LOL, 20 ans d’écart, Five, Deux moi, OSS 117 : Alerte rouge en Afrique noire… Son humour joyeux, décalé et un brin pince-sans-rire, sans aucune aversion pour l’autodérision, fait aussi des ravages sur le petit écran, où il excelle dans La Flamme et Le Flambeau de Jonathan Cohen ainsi que dans LOL : qui rit, sort, deux programmes dans lesquels il est entouré d’une pléthore de stars du cinéma français. Pareil pour Casting(s), diffusée entre 2013 et 2015 sur Canal Plus, mini-série hilarante qu’il a écrite et co-créée avec son ami Igor Gotesman.

Niney pousse l’humour encore plus loin avec Feuille Man. Invité sur le plateau des humoristes McFly et Carlito en janvier 2021, l’acteur reçoit comme gage d’appeler une productrice pour lui pitcher une idée de scénario bidon. Lorsqu’elle décroche, il invente de toutes pièces l’histoire de Feuille Man, « un gars qui a le poids d’une feuille et qui se jette du haut des immeubles. Il y a aussi Verre Woman, une femme qui recueille des liquides, leur fils est un tableau et la grand-mère est une serrure de porte ». Alors que les deux YouTubeurs sont écrasés de rire, Pierre Niney poursuit sa diatribe impassible, avec le plus grand sérieux. Vue 18 millions de fois, la vidéo fait le buzz, des internautes imaginent de fausses affiches du film, ou se mobilisent pour que le projet voit vraiment le jour. « C’est vraiment absurde parce que j’ai fait trois ans de Conservatoire national, cinq ans de Comédie-Française, et le rôle dont on me parle le plus, c’est littéralement Feuille Man », avait assuré le comédien dans l’émission PopCorn. Résultat : le trio se lance dans l’écriture et, en juin dernier, Prime Video annonce que le film sera diffusé sur la plateforme en 2024.

« Ce film met en lumière ce que peut être la tempête sous le crâne d’un génie quand tout prend l’eau. »

Avec Johnny Depp et Al Pacino

Outre Feuille Man, 2024 sera le théâtre d’autres grandes aventures pour Pierre Niney. Premièrement, la série Fiasco, sur laquelle il retrouve ses amis Igor Gotesman et François Civil, va sortir en février sur Netflix. L’acteur césarisé incarne à nouveau un réalisateur, qui entame le tournage de son premier long-métrage : une aventure traversant les époques depuis la préhistoire jusqu’au débarquement en passant par les Vikings. « Le gars que j’incarne est vraiment fou. Il est timide et introverti, il dit les mauvaises choses au mauvais moment, c’est un personnage bien déjanté à venir. »

Ces derniers mois, le comédien était sur le tournage du Comte de Monte-Cristo, mis en scène par Alexandre De La Patellière et Matthieu Delaporte (scénaristes des Trois Mousquetaires). Entouré d’Anaïs Demoustier, Bastien Bouillon ou encore Laurent Lafitte, il y incarne le héros d’Alexandre Dumas, Edmond Dantès. « Pour ce rôle, j’ai dû apprendre à faire de l’escrime, de l’apnée, du cheval, des cascades, à parler roumain, italien… J’aime relever des défis, surtout pour les films, ça ne me fait pas peur. Pour Sauver ou périr, j’avais passé trois mois avec les pompiers de Paris et j’avais pris dix kilos de muscles, c’était un sacré challenge. » La sortie du Comte de Monte-Cristo est prévue pour le 11 décembre 2024.

Autre projet d’envergure, le biopic Modi, réalisé par Johnny Depp, qui se concentrera sur 48 heures de la vie de Modigliani en 1916 à Paris. Alors que le peintre italien sera joué par l’acteur Riccardo Scamarcio, Niney interprétera l’ami de Modigliani, le Français Maurice Utrillo, « à nouveau un artiste tourmenté ». Le film est coproduit par Al Pacino, également dans le casting. « Le projet est dans les tuyaux depuis quatre ans », précise le comédien. « Al Pacino avait vu un de mes films, je ne sais plus lequel, et de fil en aiguille, je me suis retrouvé à Los Angeles, assis à table avec ses producteurs. C’est incroyable, ce sont des légendes ! »

En plein Festival de Cannes, où la polémique autour de la présence de Johnny Depp sur la Croisette faisait rage, impossible de ne pas faire allusion à l’émoi qu’a créé la bataille juridique entre l’Américain et son ex, Amber Heard. « Cette polémique est importante », réagit Pierre Niney. « Je condamne absolument toute forme de violence et ne tolérerai jamais de travailler avec quelqu’un qui est reconnu pénalement coupable de violence. Dans ce cas, lui et Amber Heard sont arrivés à un accord à l’amiable, à l’issue de procès gagnés et perdus par l’un ou par l’autre. Aucun des deux n’est condamné pénalement, alors c’est dur de se faire une idée précise, mais je reste à l’affût et je suis ça de très près. Si le moindre détail convaincant devait venir, ça remettrait en question ma collaboration. »

Pour finir, Pierre Niney nous confie encore que ses envies de toucher de plus près à la réalisation sont de plus en plus fortes. « J’attends, je cherche le bon projet. Il y en a un sur le feu que je produis, il s’agit d’une série dramatique qui parle d’écologie, et j’aimerais vraiment bien la réaliser. » Affaire à suivre !